Intervention au « Barbizon », dimanche six avril 03. Alain Véronèse.
. Quatre axes d’analyses pour essayer d’analyser la société spectaculaire marchande du 21 ième siècle.
1 - Distraction (2 fois).
2 - Destruction (créatrice).
3 - Aberrations (spectacle écran).
4 - Situation (définition). Maîtrise des représentations.
1 - Distraction, 2 fois.
D’abord, au sens pascalien du terme : ces spectacles, variétés et jeux télévisuels, qui nous occupent, nous distraient, nous endorment, nous écartent des vrais problèmes, nous font regarder ailleurs… Le distraction, bien sûr n’est pas du seul fait de la télévision, l’usage immodéré de l’automobile, un certain type de tourisme participent de la distraction. Recemment un metteur en scène de théâtre résumait le destin « idéal » du bon consommateur intégré : « travaillez, consommez et chiez. ». Le reste, les gens compétents s’en occupent.
Ensuite, deuxième signification proposée, le sens courant dirais-je, est distraction ce qui distrait. Un bon western, une série policière, le passage en boucle de l’écroulement des tours commerciales à New-York , que les télés états-uniennes ont d’abord présenté sous titré : « ceci n’est pas une fiction ». Ce fut quand même vécu comme un grand spectacle, surtout par ceux qui n’étaient, ni dans les tours ni à proximité immédiate… Les images vertes de la guerre en Afghanistan , les reportages aseptisées de la conquête militaire de l’Irak, sont également assez largement vécu comme spectacle plutôt régulier, le soir à 20h. Sauf, proximité ethnique, politique ou solidarité explicite avec les victimes ça passe assez bien. De moins en moins bien : la légalité et la légitimité des coalisés ne faisant pas l’unanimité mondiale, nous le savons … Les représentation,s retransmissions sont savamment élaborées : le spectacle est contrôlé. Le problème Irakien c’est une autre discussion… Au sens 1, le guerre en Irak est une vaste distraction : pour nous faire regarder ailleurs que dans les comptes réels de l ’économie des U.S. A., de recompter les bulletins de votes qui ont permis l’élection démocratique de « deubeul iou ». Le guerre, sa mise en spectacle nous amène au deuxième point, deuxième concept pour être ambitieux.
2 - Destruction créatrice.
Un économiste (Schumpeter) a proposé ce concept il y a quelques années, au sens où certains industries doivent disparaître, des vielles usines détruites pour libérer, les investissements, les énergies, les capacités d’initiatives, etc.
En dépassant la visée économique, je me référerais à un autre auteur : Galbraith, son livre « La paix indésirable ». Il y aurait énormément de choses à dire sur ce point, en passant, notamment par la critique du productivisme, du consumériste, de la marchandise en termes situationnistes. Le système de la mode, le gaspillage organisé, et aussi, sur la répression de la sexualité que dénonçait, Debord, Vaneigem et quelques autres. Aujourd’hui la mise en spectacle du sexe, pornographie et autofiction (« La vie sexuelle de Germaine P.), est mise au service de la répression politique, de la société de surveillance généralisée qui exige l’effacement de l’espace qui séparait le privé du public. La « libération » sexuelle est mise au service de marchandise. C’’est on le sait, l’amour ou la guerre. Aujourd’hui, c’est plutôt le guerre qui fait les belles images, le spectacle.
La guerre est une destruction nécessaire selon Galbraith, sinon, et je résume grossièrement sa thèse, la productivité au service des biens essentiels, produirait une telle abondance que les travailleurs se poserait la question de savoir s’il est vraiment utile de se lever si tôt le matin pour produire des objets existants déjà à profusion. « Ne travaillez jamais ! » écrivit Debord sur le mur d’une banque. C’était peut-être excessif, mais la pédagogie des situationnistes passaient souvent par l’excès.
La destruction des guerres est nécessaire pour limiter les richesses et surtout pour orienter les moyens de production vers des fins militaires, c’est toujours ça que les civils n’auront pas ; peut-on dire. En ce sens le paix est indésirable par le capitalisme bien tempéré. Programmer, produire de la rareté, c’est une stratégie quasi explicite : aux Etats-Unis les programmes sociaux sont tous en baisse, (les incarcérations en hausse, ce qui n’est pas sans rapport…)la guerre va coûter environ 200 millions de dollars. On n’hésite à gratifier les Irakiens de cadeaux à 1 million de dollar pièce : les missiles Tomawak.
Après la destruction du pays , les entreprises U.S. se voient accorder les marchés de la reconstruction, payés sur les deniers pétroliers irakiens, bien sur. Ces gens là on le sens du commerce. Du spectacle et de la publicité : la propagande en Irak ( à destination des Irakiens) est confié à une agence de pub. Le spectacle de la puissance en actes vise à produire soumission et discipline, tant interne qu’externe, internationale. Les arabes islamistes et les chômeurs sans allocations n’ont qu’à bien se tenir.
L’impérialisme contemporain est aussi maître des visions du monde. Il sait ce qui est bon pour tous. Avec l’approbation des sujets c’est mieux, mais on peut s’en passer. Debord, d’écrire dans « La société su spectacle » : « …le monde sensible [rée], se trouve remplacé par une sélection d’images qui existe au dessus de lui. » (p.23)
Pour tenter d’analyser cette déformation/désinformation, je vous propose d’essayer le concept d’aberration. Le troisième point de mon intervention.
3 - Aberration.
Dans le sens optique du terme. Puisque nous parlons spectacle, l’optique compte.
Il y a aberration de l’image dans un instrument de vision mal réglé. Un paire de jumelles dont les focales sont divergentes donne une image scindée, aberrante, par exemple. Cette aberration des visions du monde, de fait donne des comportements politiques aberrants, c’est à dire mal orientés, au sens politique.
Le niveau de vie américain n’est pas négociable, déclarait « deubeul iou », refusant de signer le protocole de Kyoto. Pour défendre ce style de vie, entièrement soumis à la dictature de la marchandise, une majorité d’américains supporte la guerre en Irak. Pour des raisons écologiques, économiques, politiques, ce style de vie n’est pas généralisable à l’ensemble de la planète. On le défend néanmoins avec un mélange de cynisme et/ou d’inconscience. Cette aberration « optico-politique » guide les comportements concrets, le choix des consommations, la soumission à l’idéologie du travail. Et le travail c’est un certain usage du temps : « le capitalisme, c’est la dilapidation du temps historique » (Debord, op .cité p. 87). Le profit exige la maîtrise de « la plus-value temporelle ». (id.) . De fait, dans un raccourci un peu sauvage, nous pouvons dire : les morts irakiens (ceux qui sont privés de l’usage du temps, de la vie), doivent disparaître pour que les nantis puissent continuer à jouer et profiter du temps. Les retraités de Floride exigent un bon rendement de leurs actions, ils sont si proches de la mort, qu’ils sont prêts à sacrifier beaucoup pour survivre un peu…
C’est une aberration que ce refus de la mort qui exige le sacrifice des autres.
« La société du spectacle » c’est une critique des représentations du monde, une condamnation des aberrations mentales et politiques qui guide les comportements.
« Le spectacle, c’est la poursuite de la guerre avec d’autres moyens » (Debord , op.cité) ; et le spectacle de la guerre est une destruction créatrice, qui permet au capitalisme de se régénérer. Sortir des représentations spectaculaires imposées, se soigner des aberrations visuelles et mentales, c’est le conseil, la leçon ( ?) des situationnistes.
Comment faire ?
4 - Maîtrise des représentations (et des situations).
Qu’est-ce qu’une situations, au sens des situs (def. in Internationale situ ; n° 9, p. 24).
Créer une situation signifie aussi changer ses représentations, les images du monde qui déterminent les actions, les façons de vivre, les raisons de travailler ; etc.
Quant à la maîtrise des représentations, de fantasmes ; les meilleurs conseils ne sont peut-être pas chez les situs, mais dans un corpus philosophique qu’ils n’ont guère utilisés.
Je me suis moi, égaré chez les stoïciens, ce qui aggrave mon cas, je l’entends bien.
Epictéte dans son ’Manuel », donne quelques indications pour maîtriser la peur du manque, la reproduction mimétique des comportements, la discipline du bonheur conforme.
Dans toutes situations sociales, politiques , m’importe ce qui dépend de moi.
Transposé dans le domaine de l’économie politique spectaculaire marchande, ce qui dépend de moi, c’est ma façon de consommer, mon besoin de travailler, la signification de ma production, les efforts de lucidité que je fais pour comprendre et agir dans le monde.
Ai-je vraiment besoin d’en avoir une grosse pour être un homme… une grosse automobile s’entend ! L’augmentation du pouvoir d’achat est-elle toujours désirable ? La croissance est-elle la seule option possible pour créer de l’emploi, réduire le chômage ; S’il faut - c’est certain - augmenter les minima sociaux et un certain nombre de petits salaires, il faut aussi augmenter le temps libre condition d’un authentique démocratie ,, il faut aussi programmer une décroissance soutenable. Donc, inventer une pensée para-doxale. Au double sens du mot. Le paradoxe : ce qui étonne , le paradoxal ce qui est à côté de la doxa, du sens commun, des visions imposées du monde réel.
La maîtrise de mes représentations, la réfutation du spectacle dépendent de moi.
Avant de transformer le monde, il faut le réinterpréter, jour dans un scénario dont nous sommes les auteurs. Jouer dans un rôle qui dépend de moi, peut-on dire dans une synthèse « stoïtico-situationniste. »
Ca se discute. Discutons.
Alain Véronèse.
Dimanche 6 avril 2003.