La déferlante numérique et la folie gestionnaire de l’État ultralibéral s’abat depuis déjà des décennies sur les services publics d’assistance et d’aide sociale de proximité. L’ordinateur a transformé les rapports entre aidants et aidés. L’informatique s’est déployé sournoisement pour contrôler au plus près l’activité des personnels. Les usagers sont peu ou pas informés, et leur consentement jamais recherché. Pour couronner le tout en 2020, la vague du Big Data déferle également sur ces données médico-sociales pourtant réputées "sensibles"...
Il était temps de mettre un peu de sable sans l’engrenage. En avril dernier, un appel à la déconnexion générale a été lancée par des professionnels du secteur lors du Printemps de la psychiatrie. Un appel lancé par une "Commission contre les outils gestionnaires", composé de praticiens ou d’éducateurs de CMP (Centres médico-psychologiques) comme des agents de services sociaux d’autres secteurs, dans le cadre d’une "enquête militante", un travail de fond implacable sur le projet politique qui se cache derrière le recueil des données de santé mentale et la frénésie numérique qui agite le monde de la "e-santé" en général.
Leur mot d’ordre, c’est de ne plus remplir les fichiers, d’arrêter d’utiliser les "logiciels" que les directions administratives imposent aux agents pour mieux "rationaliser" le travail et surtout "optimiser" le temps passé à recevoir les personnes en grande précarité. Une grève des actes et des "codages", un refus d’obtempérer, à l’image de ce qui s’est passé dans l’éducation nationale à partir de 2008, lorsque des centaines de directrices et directeurs d’école refusèrent en bloc de remplir le fichier Base élèves.
Il sera question des "logiciels" comme Cortexte (édité par une société privée), en fait des interfaces de saisie qui sont connectées automatiquement à une plus grosse base de données : le RIM-P, le fichier central de Recueil d’informations médicales en psychiatrie. Le tout sans chercher à obtenir le consentement éclairé des personnes. Il sera aussi question de la "pépinière de start-up" du célèbre hôpital Saint-Anne de Paris, transformé en "incubateur" pour le compte du consortium privé "Paris Biotech santé". Des applis sont déjà sur le marché pour "gérer" à distance des personnes diagnostiqués schizophrènes ou bipolaires. Soigner son propre état psychique seul-e devant un écran, quelle bien belle idée !
Il sera aussi question des données récoltées dans les services sociaux. Les services d’action sociale du département 93 ont fait l’objet d’une lutte il y a près de dix ans autour du fichier Cosmos, qui n’a pas pu être déployé comme prévu grâce à la lutte (cf plus bas lien vers une archive). Maintenant, une autre moulinette informatique (appelée cette fois "Nova", toujours très cosmique), présentée comme une "aide à la gestion" et donc "au service" des agents, se dissémine à nouveau dans les PMI, les services sociaux et les centres de dépistage...
Comment reprendre le contrôle en refusant l’injonction au calcul permanent des actes de soin ? Comment informer les usagers de leur droit de refuser ? Répandre le virus de la grève des données, c’est déjà une belle riposte. Dans cette émission les Amis d’Orwell ont invité quatre membres de la Commission contre les outils gestionnaires : Clément et Gilles (éducateurs en CMP et membres du Collectif de la pédopsychiatrie du 19e en lutte), Keltoum (assistante sociale en Seine-Saint-Denis) et Nicolas (éditeur, La Lenteur), tous deux membres du groupe Écran total.
- Écouter l’émission : lien direct (ou lecteur ci-dessous)
En savoir plus :
– Opération déconnexion, halte au codage du soin !
– Accéder ici à leur "Enquête militante sur les logiciels de recueil de données en Psychiatrie"
– Appel du Collectif de pédopsychiatrie en lutte (Paris 19e)
– A propos de la lutte autour du fichier Cosmos, écoutez notre émission du vendredi 13 mars 2015 (sur notre page principale recherchez ’cosmos’ pour retrouver le résumé) :
– musiques - intro : La folie (The Stranglers", 1981) ; pause : Action (Karimouche, 2014), conclu : Souriez ! (Freedom for King Kong, 2014)