Souriez vous êtes filmé·es

Lettre à la CNIL sur les caméras de surveillance publicitaire

lundi 12 mai 2014, par souriez


Copie de la lettre en document pdf ci-joint

De : Résistance à l’Agression Publicitaire « La Teinturerie » 24, rue de la Chine 75020 PARIS et Souriez vous êtes filmé·e·s
À : Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés 8, rue Vivienne CS 30223 75083 Paris cedex 02

Objet : dispositifs d’analyse du comportement des consommateurs

Madame, Monsieur,

Après vous avoir demandé de remettre en ligne votre avis du 19 avril 2010, « Dispositifs d’analyse du comportement des consommateurs : souriez, vous êtes comptés ! », vous nous avez fait savoir que la CNIL allait reformuler un avis sur ces dispositifs dans les prochaines semaines.
A l’heure où des sociétés commencent à commercialiser ces capteurs d’audience et de fréquentation
 [1]
, nous nous permettons d’attirer votre attention sur plusieurs points que vous n’avez jamais abordés lors des rares avis que vous avez émis sur ces dispositifs.

Loi sur la vidéosurveillance

Comme nous vous le faisions remarquer dans le dossier
 [2]
que nous vous avions envoyé en juillet 2009, nous estimons toujours que la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 sur la vidéo surveillance s’applique à ces capteurs. Avec le flou et le peu de contrôle auxquels ils sont soumis, à l’heure actuelle, il est plus facile d’installer une caméra de surveillance à des fins publicitaires que pour assurer la protection et la sécurité des personnes et des biens matériels, les caméras de vidéosurveillance étant soumises à autorisation préfectorale.
La loi de 1995 stipule en outre que l’on peut installer des caméras de surveillance dans les endroits ouverts au public, mais uniquement pour assurer la protection et la sécurité des biens et des personnes. Le législateur a défini les limites strictes du champ d’application à ces critères, dans l’idée de fixer un cadre précis qui ne doit pas être dépassé.

Si l’on suit l’esprit de la loi, nous persistons à penser que les dispositifs d’analyse du comportement des consommateurs ne sauraient être autorisés.
De plus, ces dispositifs posent aussi des questions sur lesquelles il serait rassurant de vous voir prendre position s’ils sont soumis à la loi n°78-17 du 6 juillet 1978.

Sur le consentement des personnes concernées

L’article 7 de la loi de 1978 prévoit qu’un « traitement de données à caractère personnel doit avoir reçu le consentement de la personne concernée ou satisfaire à l’une des conditions suivantes :

  • 1° Le respect d’une obligation légale incombant au responsable du traitement ;
  • 2° La sauvegarde de la vie de la personne concernée ;
  • 3° L’exécution d’une mission de service public dont est investi le responsable ou le destinataire du traitement ;
  • 4° L’exécution, soit d’un contrat auquel la personne concernée est partie, soit de mesures précontractuelles prises à la demande de celle-ci ;
  • 5° La réalisation de l’intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement ou par le destinataire, sous réserve de ne pas méconnaître l’intérêt ou les droits et libertés fondamentaux de la personne concernée. »

Or, dans votre avis du 19 avril 2010, vous affirmez que « Les données ainsi collectées [...] sont des données à caractère personnel dans la mesure où elles peuvent permettre d’identifier une personne physique. »
Et si « par conséquent, la loi "informatique et libertés" s’applique pleinement à ces dispositifs. », il faudrait que ces derniers proposent une manière de recueillir le consentement des personnes concernées, puisqu’ils ne répondent à aucune des cinq conditions permettant d’en être exempté.

Dans le cas contraire ces capteurs d’audience et de fréquentation sont donc illégaux au regard de la loi que la CNIL est censée faire respecter.

Collecte de manière loyale et licite : information et droit d’opposition

L’article 6 de la loi de 1978 prévoit que « les données sont collectées et traitées de manière loyale et licite ». Vous le rappeliez dans votre avis du 19 avril 2010, pour collecter des données personnelles, il faut que les personnes concernées soient informées de la collecte. Vous précisiez alors : « Une information claire doit être affichée dans les lieux où sont mis en place ces dispositifs afin de garantir une réelle transparence vis-à-vis du public. Cette information doit, notamment, préciser la finalité du dispositif et l’identité de son responsable. »

Or, à l’heure actuelle, si des dispositifs de mesure automatique d’analyse du comportement des consommateurs ont été installés, aucun affichage de ce type n’a été mis en place à notre connaissance.

Il nous semblerait aussi nécessaire que vous vous prononciez sur la possibilité d’exercer son droit d’opposition pour les personnes concernées (article 38 de la loi de 1978). Nous devrions en effet pouvoir refuser d’être pistés à des fins d’analyse pour des études dont la finalité est purement commerciale. A plus forte raison lorsque ces capteurs sont disposés dans des magasins mais collectent les données des personnes dans l’espace public (caméra donnant sur la rue dans les vitrines, récupération des identifiants des téléphones des passants, etc.).
La question est d’autant plus préoccupante qu’il est très facile de recouper les données issues de ces capteurs avec les données de caisse, et ainsi de pouvoir faire correspondre un identifiant anonyme avec un acte d’achat nominatif (carte bancaire, chèque...).

Les récentes avancées en matière de reconnaissance faciale [3]
devraient aussi être abordées. Une interdiction absolue de ce type de technologies nous paraît plus que légitime au regard des dérives que l’on peut craindre.

Surveillance des salariés

Nous attirons aussi votre attention sur le fait que les capteurs de fréquentation permettent aussi d’exercer un contrôle sur les salariés. C’est même l’un des arguments de vente de la société TrendCube [4] qui se vante de pouvoir analyser une baisse de chiffre d’affaires au regard du trafic détecté pour définir si la performance de l’équipe commerciale est bonne ou mauvaise.
Cette société vantant par ailleurs le fait que son capteur est de « petite taille » et qu’il « se dissimulera facilement sous votre caisse »
 [5]
, nous pouvons réellement nous inquiéter de l’information donnée aux salariés comme l’exige tout système de surveillance les concernant.
Enfin, cette société affirme avoir reçu l’autorisation de la CNIL portant le n° 1716875vO5, ce qui laisse penser que de tels dispositifs sont déjà mis en place sans que le public en informé.

Demande de communication des autorisations données par la CNIL

Si des autorisations pour des dispositifs d’analyse du comportement des consommateurs ont été délivrées, nous vous demandons, comme nous y autorise la loi loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, de nous communiquer tous les documents relatifs à celles-ci (identité des responsables de ces traitements, nature des dispositifs – capteurs d’audience ou de fréquentation, adresse des lieux où ils sont implantés, etc.), et de les envoyer à

RAP – « La teinturerie » – 24, rue de la Chine – 75020 Paris.

Dans l’attente d’une réponse détaillée et des documents demandés ci-dessus, nous vous prions de croire, Madame, Monsieur, en l’expression de notre considération la plus distinguée.

 Khaled GAIJI, président de l’association Résistance à l’Agression Publicitaire
 Charlotte NENNER, vice-présidente de l’association Résistance à l’Agression Publicitaire
 Jean-Pierre PETIT, membre du collectif Souriez, vous êtes filmés

R.A.P. (Résistance à l’Agression Publicitaire) - Association loi 1901 créée en 1992 Local : « La Teinturerie » - 24, rue de la Chine – 75020 Paris www.antipub.org – contact(AT)antipub.org – 01 43 66 02 04

titre documents joints

Notes

[1Quvidi (http://www.quividi.com/fr/), Eikeo (ex-Majority Report http://www.eikeo.com/), Smart Flows (http://www.smart-flows.com/) ou encore TrendCube (http://www.trencube.com/)

[2« Ecrans publicitaires du métro parisien : illégalité et illégitimité du système », RAP juillet 2009 http://www.antipub.org/IMG/pdf_Dossier_CNIL_v.3.1-1.pdf

[3« Reconnaissance faciale : un algorithme a battu les humains », Futura-Sciences.com du 25 avril 2014 http://www.futura-sciences.com/magazines/high-tech/infos/actu/d/technologie-reconnaissance-faciale- algorithme-battu-humains-53475/


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