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Tous suspects

lundi 3 novembre 2003, par souriez

Nous publions un article paru sur
Magazine Québec Science - OCTOBRE 2003 - Tous suspects

Avec l’autorisation de son auteur:Philippe Chartier
Le forum est ouvert pour ceux qui le souhaite en bas de l’article.


Les machines nous surveillent. Pas de leur propre chef, bien sûr, mais
parce qu’on le leur demande. À la suite des attentats du 11 septembre
2001, la sécurité est devenue une obsession, surtout chez nos voisins
du sud. Depuis deux ans, les technologies de surveillance de tout poil,
du drone robotisé au système d’écoute tous azimuts, ont le vent dans les
voiles. Parmi celles-ci, la "biométrie" connaît un essor remarqué.

Longtemps cantonnées aux installations "haute sécurité" et aux films d’espionnage
à la "007", les techniques d’identification biométriques font leur apparition
dans la vie courante. Un nombre croissant d’entreprises s’équipent de
dispositifs biométriques pour mieux contrôler l’accès à leurs locaux ou
à leurs réseaux informatiques. On en trouve même dans des appareils destinés
au commun des mortels. Des clés USB (1), des disques durs externes (2)
ou des téléphones portables (3) avec lecteur d’empreintes digitales intégré sont désormais disponibles dans le commerce.

Comment ça marche

Qu’elles scrutent votre rétine, votre oreille, vos empreintes digitales ou votre visage, les techniques d’identification biométriques suivent toutes, grosso modo, le même principe. On enregistre d’abord les caractéristiques corporelles qui serviront de référence lors des vérifications ultérieures de votre identité. C’est la phase d’"enrôlement". Ces données sont ensuite analysées pour en extraire des "points caractéristiques". Dans le cas d’une empreinte digitale, on s’intéresse aux petits accidents - ou "minuties" - des lignes qui ornent le bout des doigts, c’est-à-dire les arrêts de ligne et les bifurcations. Ce sont ces points plutôt que l’image complète, inutilement lourde, qui sont conservés pour produire votre signature biométrique. Celle-ci est stockée dans une base de données centralisée ou sur une carte à puce en votre possession.


Ces données biométriques de référence peuvent servir deux fins : l’authentification
et l’identification. Dans le premier cas, lorsque vous désirez accéder
à une zone haute sécurité, par exemple, vous tapez un code personnel
ou présentez une carte d’accès. En complément, le système authentifie
votre identité en comparant vos caractéristiques biométriques avec
celles préalablement enregistrées. Selon le niveau de similitude,
le système accorde ou refuse l’accès. Dans le cas d’une identification,
le système compare vos caractéristiques au contenu de sa base de données
et tente lui-même de vous reconnaître. Combiné à la reconnaissance
de visage, par exemple, l’identification peut se faire totalement
à l’insu des gens, comme c’est le cas des systèmes de surveillance
dans certains aéroports aux États-Unis.


Biométrie Online
http://biometrie.online.fr

BioPrivacy.org
http://www.bioprivacy.org


Biometric Watch
http://www.biometricwatch.com

La biométrie remonte à la fin
du XIXe siècle. Le criminologue français Alphonse Bertillon invente une
méthode pour ficher les délinquants : il mesure, entre autres, la largeur
et la longueur de leur visage, la dimension de leur oreille droite, la pointure
de leur pied gauche et quatre empreintes digitales de la main droite. Son
procédé, surnommé "bertillonnage", lui permet d’identifier les récidivistes
qui s’amusent à changer de nom - comme le célèbre Vidocq (4) dont s’est
inspiré Victor Hugo pour son personnage de Jean Valjean dans Les Misérables.
En 1902, il résout, pour la première fois de l’histoire, une énigme criminelle
grâce à son fichier d’empreintes digitales - un homme retrouvé étranglé au 107, rue du Faubourg Saint-Honoré, à Paris, aucun témoin sauf le chien
Snipp, peu bavard (5).


À l’époque, et jusque dans les années 1970, l’identification par empreintes
digitales - ou dactyloscopie - est un procédé fastidieux : il faut passer
au crible et comparer manuellement des milliers de fiches cartonnées...
Aujourd’hui, grâce aux développements de l’informatique, tant par le traitement
des éléments recueillis que par leur stockage dans des bases de données,
le nombre et l’efficacité des techniques d’identification biométriques se
sont considérablement accrus.


A priori, pratiquement toutes les parties du corps humain peuvent servir
à identifier une personne. Toutefois, comme les processus se font en règle
générale dans des lieux publics, autant éviter de se mettre à nu ! À elle
seule, la main offre bien des ressources. Outre les empreintes digitales,
toujours populaires après un siècle, on peut se baser sur la géométrie de
la main en combinant longueur, largeur, épaisseur et surface obtenues par
balayage infrarouge de l’organe préhensile... Ou se limiter à la géométrie
de deux doigts, en calculant les ratios entre longueur et largeur des différentes
phalanges. La forme de la paume peut aussi servir de référence, ainsi que
la forme des veines, la naissance (ou base) des ongles, les pliures du poing,
sans oublier les lignes de la main !


L’oeil, ce "miroir de l’âme", est également un élément de choix. Très fiable,
la reconnaissance de l’iris s’intéresse aux motifs uniques formés par l’enchevêtrement
des filaments qui le composent. On peut aussi examiner le dessin des vaisseaux
sanguins qui tapissent la rétine. La reconnaissance faciale travaille à partir des différentes mesures que l’on peut tirer d’un visage : écartement
des yeux, longueur du nez, largeur de la bouche, etc. Lunettes, coiffure,
barbe et moustache n’affectent pas la reconnaissance. Seule une opération
chirurgicale touchant le cartilage est en mesure de la déjouer. La thermographie,
une approche encore expérimentale, crée à partir d’une image infrarouge
une cartographie des températures des différentes régions du visage - une
caractéristique propre à chaque individu. Et il y a aussi la reconnaissance
vocale où l’on analyse les caractéristiques du timbre et de la prononciation
- à ne pas confondre avec la reconnaissance de la parole, car le système
ne déchiffre pas les mots et les phrases.


D’autres méthodes ne s’intéressent pas tant à mesurer notre corps, mais
plutôt à la façon unique que chacun de nous a de s’en servir. Les plus connus
et aboutis sont les systèmes de reconnaissance de signature manuscrite.
En plus de comparer votre autographe avec un échantillon préenregistré,
à l’aide d’un stylo électronique, on recense toute une variété de paramètres,
comme la pression et l’inclinaison du stylo, le rythme et la rapidité d’exécution,
etc. La façon de taper sur un clavier est également riche en information.
Lorsqu’un usager entre son code d’accès et son mot de passe, on peut ainsi
vérifier la vitesse et le rythme de saisie, qui sont particuliers à chaque
individu (6). Sa démarche peut aussi servir d’élément d’identification.
Petit bémol : ces méthodes dites "comportementales" doivent tenir compte
du fait que les individus changent avec le temps !


À ce palmarès, on peut aussi ajouter l’identification ADN qui compte parmi
les meilleures méthodes, car les molécules d’ADN sont uniques à chaque individu
(à l’exception des jumeaux identiques). Cependant, comme elle exige le prélèvement
d’une petite quantité de tissu humain, cela n’est pas sans inconvénient
pour une utilisation à grande échelle... C’est pourquoi l’identification
par ADN risque de rester limitée aux applications spécifiques ; dans le domaine
juridique, par exemple.


Bref, le catalogue des moyens imaginés pour identifier notre modeste personne
est on ne peut plus vaste ! Et ce n’est pas plus mal, car même si certaines
méthodes, comme la reconnaissance d’iris, limitent les taux d’erreur à 0,0001%,
aucune n’est encore totalement fiable ou à l’abri des fraudes. En introduisant
un peu de redondance, c’est-à-dire en employant plusieurs méthodes à la
fois, la biométrie surpasse et de loin les mesures de sécurité classiques,
comme les clés, cartes, badges, codes d’accès et mots de passe, qui courent
toujours le risque d’être dérobés, dupliqués ou égarés. La biométrie apparaît
donc comme un moyen intéressant d’adapter - une fois n’est pas coutume -
la technologie aux humains plutôt que le contraire !


Son usage suscite tout de même beaucoup d’interrogations... et de malaises.
Généralement associée aux criminels, la prise des empreintes digitales ne
plaît pas beaucoup. L’analyse de l’iris ou de la rétine n’est guère appréciée
non plus du public qui craint (à tort) les effets du faisceau lumineux dans
l’oeil. Et il y a toutes les questions concernant les usages plus ou moins
bien intentionnés que l’on pourrait en faire, en particulier des risques
d’intrusion dans la vie privée des citoyens.


Que l’on soit d’accord ou pas, la biométrie va toutefois entrer rapidement
dans les moeurs, du moins celles des voyageurs. En 2002, le Congrès des
États-Unis a adopté le U.S. Border Security and Visa Reform Act, selon lequel
les étrangers autorisés à se rendre dans ce pays sans visa devront posséder,
à partir d’octobre 2004, un passeport contenant des informations biométriques,
comme les empreintes digitales ou celle de l’iris, stockées dans une puce.
Si le programme US Visit (7) se concrétise, d’ici quelques années, des millions
de visiteurs seront soumis au contrôle biométrique à la frontière états-unienne.
Les réalisateurs de films de science-fiction et d’espionnage ont intérêt
à trouver rapidement de quoi nous impressionner dans leurs prochains scénarios !


>>CyberRessources

(1) ThumbDrive
http://www.thumbdrive.com

(2) Loqware

http://www.loqware.com

(3) PlanetPDAmag

http://www.planetpdamag.com/enews/031202e.htm

(4) Eugène François Vidocq

http://beh.free.fr/npc/hcel/vidocq.html

(5) Arrestation du premier assassin confondu par ses empreintes digitales

http://www.culture.fr/culture/actualites/celebrations2002/empreintes.htm

(6) BioPassword

http://www.biopassword.com


(7) US-VISIT Program
http://www.dhs.gov/dhspublic/display?theme=43&content=736

 
  Ce texte est tiré du Magazine Québec


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