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Au sommaire du n°247 (en kiosque)
6 décembre — Léo Gillet, Sommaire
Si le dieu capitaliste adore les festivités de Noël, les victimes d'inceste, elles, se mettent en mode survie pendant le mois de décembre. Contre la mécanique du silence de ce système de domination ultraviolent envers les enfants, on a décidé de consacrer notre dossier du mois à ce sujet. On en a parlé avec la plasticienne et autrice Cécile Cée, victime d'inceste, qui milite pour sortir l'inceste du silence, puis nous sommes allé·es à la rencontre de témoins, co-victimes, d'inceste au rôle primordial. On fait un zoom sur les spécificités des récits littéraires de l'inceste ainsi que sur l'échec de la justice à protéger les enfants et les mères protectrices. Hors dossier, on fait le point sur un texte de loi qui a permis l'expulsion de Reda M., pourtant victime des effondrements de la rue d'Aubagne, et la docteure en anthropologie Aline Cateux évoque les 30 ans des accords de Dayton dans un entretien sur la Serbie.
Quelques articles seront mis en ligne au cours du mois. Les autres seront archivés sur notre site progressivement, après la parution du prochain numéro. Ce qui vous laisse tout le temps d'aller saluer votre marchand de journaux ou de vous abonner...
En couverture : « Inceste : s'attaquer aux racines » par Léo Gillet
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Inceste : s'attaquer aux racines
– « Reconnaître en nous le parfait petit agent de la culture de l'inceste » – Cécile Cée est plasticienne, photographe, mais aussi autrice de l'ouvrage Ce que Cécile sait – journal de sortie d'inceste (Marabout, 2024). À sa sortie d'amnésie traumatique, elle réalise à 38 ans qu'elle a été victime d'inceste dans son enfance. Depuis, elle n'a de cesse de se documenter et de militer pour que l'inceste sorte du silence et soit dénoncé tel qu'il est : un système omniprésent.
– Que dit-on de l'inceste en fac de psycho ? – Louison est prof de français et en reprise d'études en troisième année de licence de psychologie clinique. Elle anime aussi le compte Instagram Aventreouvert, dans lequel elle a déjà dénoncé les errements des enseignements qu'elle suit à l'Université Aix-Marseille, en ce qu'ils participent à nier l'inceste comme fait social et réel, tout en formant les psychologues de demain. Témoignage.
– Briser le silence avec un micro – Vingt ans après avoir subi un inceste de la part de son beau-père, Léna Rivière cherche « la voix des autres », ses proches et les autres victimes du même agresseur. Le processus aboutit au magnifique documentaire radiophonique « Queen of Bongo », réflexion sur la justice, le pardon et, en creux, le pouvoir du micro.
– Proches de victime : tenir bon devant le déni des siens – Un inceste, ça n'est jamais juste une histoire entre un agresseur et sa victime. C'est un système, bien rodé, qui fait d'abord son nid dans les non-dits familiaux. Ça commence bien avant notre naissance et ça se termine on ne sait où, ni quand. Sur son passage, ça emporte tout : la victime, bien sûr, mais aussi ses proches soutiens.
– Briser le tabou avec la plume – Contre la silenciation qui entoure les faits d'inceste, certaines victimes font de leur histoire des récits littéraires. En France, ces ouvrages ont largement participé au mouvement #MeTooInceste. Quand l'inceste fait système, l'écrit devient une arme puissante.
– L'immonde culture de l'inceste – Partout dans la culture française – films, séries, chansons, porno, mythes fondateurs – l'inceste s'affiche, mais rarement comme une violence. Romantisé, humorisé ou mis hors champ, il devient un motif familier plutôt qu'un crime, participant à sa banalisation autant qu'à un vaste déni collectif.
– Survivre deux fois : l'inceste et le naufrage judiciaire – En France, moins de 1 % des plaintes pour inceste aboutissent à des condamnations. Pour le reste, le parcours judiciaire inflige une deuxième vague de souffrance aux victimes et à leur parent protecteur, presque toujours les mères. Pourquoi un enfant qui dénonce des faits d'inceste n'est-il pas protégé ?
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Actualités d'ici & d'ailleurs
– Son immeuble s'effondre, l'État l'expulse – Reda M., reconnu victime des effondrements de la rue d'Aubagne, a été expulsé de France après un mois et demi en centre de rétention à Marseille. L'occasion de faire le point sur l'application d'un texte législatif censé protéger les victimes de marchands de sommeil, quel que soit leur statut administratif.
– En Bosnie, « la débrouillardise soit tu l'as, soit tu meurs » - Le 14 décembre prochain, les Bosnien·nes fêteront (ou pas) les 30 ans de la signature des accords de Dayton qui ont entériné l'ingouvernabilité de la Bosnie-Herzégovine. Face aux nationalismes, la société civile lutte. Entretien avec la docteure en anthropologie Aline Cateux, productrice de la série documentaire « Bosnie-Herzégovine, 1995-2025 : la solitude des Bosniens »1.
– Zadistes relaxé·es mais zadistes traqué·es – Le procès de trois occupant·es de la Barzad d'Avignon s'est clôt vendredi 7 novembre dernier. Après un mois d'occupation contre un chantier routier, la zad avait été expulsée le 17 avril 2024. Malgré la relaxe obtenue, l'affaire montre à nouveau comment la justice pénale est utilisée à des fins de répression politique.
– Faire transpirer les fédés – Face à la décadence du sport professionnel soumis à des règles sexistes, le boxeur trans Maho Bah-Villemagne et l'association TRANSpire lancent un Front d'action pour les athlètes trans et intersexes, afin de mettre une bonne droite aux institutions sportives
– « Propulser l'élan vital » – Nathalie Quintane n'est pas seulement une belle plume, aiguisée depuis la fin des années 1990 au fil d'une bibliographie prolifique, c'est aussi un regard transperçant et curieux. Dans Soixante-dix fantômes, elle laisse libre cours à cette vocation, en quête de fâcheux stigmates politiques. Rencontre téléphonique avec une météorologue du quotidien.
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Côté chroniques
– Lu dans... | La Grèce abat des moutons en masse - Dans cette enquête, le média hellénique Solomon révèle les défaillances de l'État grec face à la variole du mouton qui a entraîné le pays dans une crise de l'élevage2.
– Sur la Sellette | Un dossier simple – En comparution immédiate, on traite à la chaîne la petite délinquance urbaine, on entend souvent les mots « vol » et « stupéfiants », on ne parle pas toujours français et on finit la plupart du temps en prison. Une justice expéditive dont cette chronique livre un instantané.
– Échec scolaire – Loïc est prof d'histoire et de français, contractuel, dans un lycée pro des quartiers Nord de Marseille. Chaque mois, il raconte ses tribulations au sein d'une institution toute pétée. Entre sa classe et la salle des profs, face à sa hiérarchie ou devant ses élèves, il se demande : où est-ce qu'on s'est planté ?
– Peine perdue | Le maton qui guette (en moi) – Luno est bénévole en prison, et nous en livre un aperçu chaque mois. Un regard oblique sur la taule et ses rouages, par quelqu'un qui y passe mais n'y dort pas. Deuxième épisode : que des fachos dans ces quartiers (pénitentiaires).
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Côté culture
– Des bandes de jeunes contre les nazis – Avec Meutes, Swings et Pirates de l'Edelweiss, l'historien allemand Sascha Lange nous plonge dans l'univers méconnu des bandes de jeunes sous l'Allemagne nazie. Une histoire de contre-cultures en résistance par la danse comme par les poings.
– Renouer avec le syndicalisme de lutte – Dans Réapprendre à faire grève, Baptiste Giraud, sociologue, mène une enquête sur le syndicalisme et l'apprentissage de la grève. Il montre qu'il n'est pas si facile de faire vivre le « syndicalisme de lutte » que revendique la CGT.
– Mythos coloniaux - Dans Oradour coloniaux français, le politologue Olivier le Cour Grandmaison revient sur la suspension d'Apathie de RTL après son parallèle entre les crimes nazis et les crimes coloniaux de la France en Algérie. Comparaison = raison ? Oui, mon général !
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Et aussi...
– L'édito – Trafic de crétinerie
– Ça brûle ! – Oooohhhhhh
– L'animal du mois – Bourdon, aka super-Bombus
– Abonnement - (par ici)
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Fiertés folles
29 novembre, par Gaëlle Desnos — Marine Summercity
Après près de dix ans d'absence, la Fada Pride marseillaise renaît. À la barre : les fous, les folles, les fatigués de la psy et de ses éternels dysfonctionnements, les énervés de la violence sociale sans cesse reconduite.
« Nous avons le droit et le devoir de vivre notre vie comme nous l'entendons. » Au micro, Lola* vacille un peu, mais ne flanche pas. Elle est venue dérouler devant une petite cinquantaine de personnes réunies place Jean Jaurès à Marseille. Le rendez-vous qu'ils et elles se sont données ce jour-là porte un nom délicieusement frondeur : la Fada Pride. Fierté folle, folie fière, fièrement fêlés, qu'importe l'ordre des mots, l'idée est là : rappeler au système psy que ses usagers et ses usagères ne sont ni des ombres ni des numéros de dossier.
« Ici on veut faire avec ceux qui subissent le système psy ! »Sans doute un détail pour le gouvernement qui, en octobre 2024, déclarait la santé mentale « Grande cause nationale » de l'année 2025, tout en oubliant d'y mettre les « grands » moyens1. Courant octobre, des prides se sont donc organisées dans cinq villes de France pour dénoncer des pratiques maltraitantes et une mécanique qui reproduit la violence sociale.
Par et pour les personnes consTernéesLa Fada Pride marseillaise est apparue pour la première fois en 2015, puis une seconde fois en 2016, avant de tomber dix ans dans l'oubli. Mais cette année, l'événement s'est relancé le samedi 18 octobre dernier. Sur place, deux grosses enceintes jouent de vieux standards cubains, glissent sans prévenir à de l'électro, et diffusent quiconque désire prendre la parole. Des stands d'infos et de linogravures agrègent les participants et les curieux. À la table des zines, la revue Soin'Soin fait la réclame pour ses quatre superbes numéros. Mathieu, son concepteur, rappelle la teneur du projet éditorial : « C'est fait par et pour les personnes concernées ». Ce jour-là, cette phrase est dans toutes les bouches. « Ici on veut faire avec ceux qui subissent le système psy ! » confirme Anakin, l'un des organisateurs de la Fada marseillaise. Le « système psy », rappelle le communiqué de l'événement, c'est bien souvent « l'enfermement, les soins sans consentement, les violences psychiatriques et un recours systématisé au tout-médicament ».
En 2022, environ 8 000 personnes hospitalisées sans leur consentement en psychiatrie ont fait l'objet d'au moins une contention mécaniqueEn 2022, environ 8 000 personnes hospitalisées sans leur consentement en psychiatrie ont fait l'objet d'au moins une contention mécanique. À cela, « ceux qui subissent » répondent : « Rien sur nous sans nous ! »
Au gré des discussions, les vieux thèmes de la psy reviennent – l'exclusion, les galères de boulot, la rue, la conso de produits, les médocs qui cassent le corps et la tête –, tandis que de nouveaux affleurent. Un pont semble se dessiner avec les problèmes soulevés par la communauté LGBTQ+. « Le lien c'est le contrôle des corps, explique T., psychanalyste. L'hétéropatriarcat, tout comme la psychiatrie, impose ce type de domination. En hosto, on peut te priver de liberté, t'isoler, utiliser sur toi la contention physique ou chimique... » D'autant que la psychiatrie a un lourd passif avec la communauté LGBTQ+ : la pathologisation de l'homosexualité a eu cours jusque dans les années 1970 et la transidentité n'a officiellement été dépsychiatrisée que tout récemment2. « Aujourd'hui, les personnes queers subissent de plein fouet l'extrême droitisation du monde, la paupérisation, la violence. La communauté va mal. Alors forcément, on commence à converger », relève Anakin.
En France, une personne sans titre de séjour sur six souffre de stress post-traumatiqueLa situation des demandeurs d'asile, souvent traumatisés par des parcours migratoires douloureux, est aussi l'objet d'une attention particulière. En France, une personne sans titre de séjour sur six souffre de stress post-traumatique, mais selon Anakin « la psy n'est pas à la hauteur ». T. se souvient d'un mineur isolé atteint d'une maladie infectieuse qu'il a accompagné : « Il ne comprenait pas ce que racontaient tous ces Blancs en blouses blanches. Il voulait voir un marabout. Mais au lieu de l'écouter, on est venu me chercher pour le convaincre de se soigner. » Et évidemment, le manque de moyens finit d'aggraver la situation. En 2023, le Haut Conseil à l'Égalité, dans son évaluation des Centres régionaux du psychotraumatisme, constate qu'aucun centre n'assume correctement ses missions : l'embolie est telle qu'ils doivent prioriser en excluant les situations les plus complexes… Fréquentes chez les exilés.
Un monde fouÀ l'atelier pancarte, ce jour-là, un slogan retient particulièrement l'attention : « C'est le monde qui est “fou” ! » Un écho au manifeste de la Mad Pride parisienne et son « nous refusons la pathologisation dont nous sommes l'objet, c'est leur monde qui est malade ». Place de la République à Paris, la militante antipsychiatrique Nan marci clamait : « Nous n'irons jamais mieux dans ce monde capitaliste, seule la révolution porte l'espoir de la santé, nous ne voulons pas de meilleurs soins, nous voulons un autre monde. » Chercheuse en philosophie, elle mobilise le concept de « non-normopathe » – littéralement : maladie de la normalité – qui caractérise « toutes les personnes qui s'intègrent avec facilité au monde tel qu'il existe aujourd'hui »3. C'est, selon elle, déjà une forme de pathologie : « Les honnêtes travailleurs, les bons pères de famille, les bons citoyens ont tellement intégré les normes sociales que ça détruit le principe de leur individualité et de leur subjectivité. […] On est tous et toutes malades du capitalisme mais pas de la même manière. »
Gaëlle Desnos* Le nom a été modifié.
Dans le cadre d'ateliers d'écriture menés par le CoFoR (Centre de formation au rétablissement) à Manifesten, des personnes psychiatrisées et non psychiatrisées se retrouvent. Lola en fait partie. Voici un extrait de ce qu'elle écrit :
« Nous ne serons plus colonisés, oppressés, brimés. Nous nous tiendrons avec force, courage, honneur et dignité devant la toute-puissance du système psy et du médecin sachant qui soigne, mais n'a pour objectif que de guérir. Nous nous tiendrons main dans la main devant l'oppresseur et essaierons par des chemins de traverse de trouver des chamans, medicine men ou guérisseurs qui usent de magie ou de formes traditionnelles alternatives à cette médecine occidentale figée, protocolaire et aliénante. Notre rétablissement et notre pouvoir d'agir sont proches, à portée de main. Ils nous appartiennent. C'est notre terre promise et nous nous battrons pour la reconquérir. Le bonheur ne réside pas dans l'opulence. Il sait se contenter de ce qu'il a et aucun colon médical ne nous le prendra. »
1 En juin 2025, le Sénat publie un rapport intitulé « Santé mentale et psychiatrie : pas de “Grande cause” sans grands moyens ». Constat : la santé mentale se dégrade, surtout chez les jeunes, tandis que l'offre publique est embolisée, inégale et en sous-effectif.
2 Lire « Santé : le parcours du combattrans » CQFD n°244 (septembre 2025)
3 Voir « C'est leur monde qui est fou, pas nous », Lundimatin (06/10/2025).
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La prison en feu ?
29 novembre, par Lluno — Chronique carcéraleLuno est bénévole en prison, et nous en livre un aperçu chaque mois. Un regard oblique sur la taule et ses rouages, par quelqu'un qui y passe mais n'y dort pas. Premier épisode : trouver ses marques.
« C'est un Algérien et un Marocain, ils sont en haut d'un immeuble. Qui c'est qui saute le premier ? » Il pouffe. C'est le genre de gars qui a du mal à attendre pour envoyer sa chute. Je m'approche pour ne pas la rater.
« Ah, je la connais surveillant mais là… je m'en souviens plus.
– Qui c'est qui saute le premier ? C'est l'immeuble ! »
Les deux se marrent, et de bon cœur on dirait. Un maton grisonnant et un jeune détenu maghrébin en requins. Je suis paumé.
Depuis que j'ai mis un pied en taule, j'en ai des dizaines comme ça : des moments où je patine, où ce qui se vit n'entre pas vraiment dans ma grille de compréhension. C'était plus simple avant, quand les choses étaient claires.
Fleury, novembre 2017. Première fois que je vois une prison d'aussi près et elle est gigantesque : 140 hectares, près de 4 500 personnes incarcérées, la plus grande zonz d'Europe (encore une belle victoire pour la France). J'apporte un sac d'affaires pour mon pote. Des habits, quelques bouquins et une paire de baskets neuves que j'ai galéré à choisir – fallait-il qu'elles aient l'air onéreuses pour que ça impose le respect ou au contraire bon marché pour ne pas attiser la convoitise et donc les emmerdes ? Le samedi matin, c'est jour de visite : il y a foule devant la maison d'arrêt pour hommes. Beaucoup de femmes et de gamins de tout âges, des ados, de rares types plus âgés. On attend sous le crachin. Un maton de deux mètres bloque l'entrée sans fournir d'explication pour le retard. Quand la porte s'ouvre enfin, il crie, repousse ceux qui se pressent, tutoie, se moque de qui ne parle pas bien français. J'ai les boules pour les familles qui se font humilier par ce blaireau en uniforme mais qui seront encore là samedi prochain, et celui d'après.
Il me faut quelques années avant de remettre un pied en prison, cette fois en tant qu'intervenant aux côtés de plusieurs assos. Les établissements que je fréquente n'ont rien à voir avec une usine comme Fleury : ils sont relativement petits – des « boutiques à l'ancienne », « familiales » presque. À l'intérieur et au-delà des blagues de maton, je découvre un monde chelou. Les prisonniers que je rencontre ne sont pas spécialement contre la taule et les personnels, eux, ne se font guère d'illusions sur son utilité. Pour les premiers, c'est parfois une étape prévue, anticipée. Et s'ils la jugent injuste pour eux, elle serait « bien méritée » pour d'autres. Quant aux seconds, ils sont trop bien placés pour savoir que ce n'est pas l'enfermement à trois ou quatre par cellule de 9 m2 qui autorise à réfléchir et à « donner du sens à la peine », comme disent les textes de loi.
Moi, j'arrive là avec mon bagage anticarcéral et mon vieux seum toujours pas digéré. Mais je sais que je viens ici pour tremper ces idées tranchantes dans le réel, voir si ça tient. À la fin, si les surveillants sont des humains et les taulards aussi, est-ce qu'on criera encore « La prison en feu, les matons au milieu » ?
LunoLa prison – comme le reste – ce sont celles et ceux qui la subissent qui en parlent le mieux. Je vous incite donc à lire des écrits de taulards et à suivre ce que font les camarades de L'envolée qui donnent depuis plus de vingt ans la parole aux enfermé·es.
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En Allemagne, un projet discriminant de lutte contre l’antisémitisme
29 novembre — Morceaux volésLe média d'investigation indépendant allemand Correctiv révèle ce mois-ci les dessous d'un plan de lutte contre l'antisémitisme soutenu par le ministre de la Recherche qui cible spécifiquement les jeunes musulmans.
« Après avoir été approuvé par le ministère de la Recherche, le programme “Dis-Ident” de recherche et de prévention contre l'antisémitisme a officiellement démarré en juillet dernier. [...]
Selon l'entreprise Mind qui pilote ce plan, l'objectif est de développer des stratégies contre l'antisémitisme lié à Israël et la radicalisation islamiste dans les écoles allemandes. Il s'adresse principalement aux élèves musulmans issus de l'immigration, et doit les amener à réfléchir sur les préjugés antisémites, par exemple dans le cadre d'ateliers de théâtre et de jeux de rôle. [...]
Le fondateur et directeur général de Mind est un homme connu du grand public grâce à ses nombreuses apparitions dans des talk-shows et interviews : Ahmad Mansour. Ce psychologue, considéré par certains comme un expert de l'islamisme, est controversé en raison de ses déclarations critiques à l'égard de l'islam. En juillet 2021, par exemple, il déclarait dans un podcast : “L'islam ne s'est jamais intégré dans une autre culture et ne le fera pas non plus en Europe.” [...]
Contrairement à ce qui se passe normalement dans l'attribution de subventions publiques, Mansour et ses partenaires n'ont pas dû passer par un processus concurrentiel pour obtenir des fonds. Dans un tel processus, le ministère lance un appel d'offre pour un programme de recherche, et les instituts de recherche soumettent différentes propositions. Celles-ci sont ensuite examinées par des experts. [...]
Dans “Dis-Ident”, les députés [...] majoritairement issus du Parti libéral-démocrate, ont décidé que le ministère de la Recherche devait subventionner l'entreprise Mind sans passer par une telle procédure. [...] Une décision qui soulève des questions. [...]
Critiques dévastatrices des expertsComme il est d'usage dans ce genre de procédures, le ministère de la Recherche avait pourtant chargé des scientifiques externes d'examiner la description du projet. [...] Correctiv a pu consulter les rapports d'expertise présentés à l'été 2024. Leurs conclusions étaient dévastatrices. [...]
Ils critiquent l'absence “d'hypothèses et de questions de recherche vérifiables empiriquement” et regrettent également l'absence d'une présentation détaillée du plan de recherche et des méthodes, ainsi que de la manière dont ceux-ci devaient être appliqués. [...] Le projet, dont l'efficacité est plus que douteuse, semble avant tout refléter la vision du monde d'Ahmed Mansour. [...]
Selon les experts mandatés par le ministère, ce plan de recherche et prévention reflète “une vision négative des personnes issues de l'immigration et de confession musulmane”. Les thèses formulées reposent sur l'hypothèse selon laquelle les attitudes antisémites seraient “inhérentes” à la “culture musulmane”. [...] Ces mêmes experts ont ainsi exprimé leur inquiétude quant au fait que les mesures prévues pourraient discriminer les enfants et les jeunes issus de l'immigration et de confession musulmane. […] Autant de critiques qui n'ont pas été intégrées au projet “Dis-Ident”. [...]
Ce qui est concrètement prévu avec les jeunes dans le cadre de ce programme et comment leurs droits seront garantis est également flou. Les premiers travaux empiriques et la collecte de données devraient commencer début 2026. »
Justus von Daniels -
Football social à l’irlandaise
29 novembre, par Eliott DognonFace à la décadence du sport professionnel soumis aux règles capitalistes, des Irlandais·es luttent à contre-courant pour bâtir un autre modèle. À Dublin, le Bohemian Football Club, détenu entièrement par ses fans, se mobilise pour redéfinir l'utilité sociale du sport en soutenant diverses causes, dont celle des Gazaoui·es.
Les adeptes du groupe de rap nord-irlandais Kneecap ou du groupe de rock irlandais Fontaines D.C. – tous deux connus pour leur soutien à la Palestine et leurs engagements sociaux – n'ont pas pu passer à côté. Qu'il soit noir et rouge, bleu ou blanc, le maillot de l'équipe de foot des Bohemians de Dublin était dans tous les festivals cet été. Même l'activiste suédoise Greta Thunberg le portait sur la flottille humanitaire qui se dirigeait vers Gaza en juin dernier. Et pour cause, le club, qui brille rarement au-delà des terrains de l'île d'Émeraude, s'est associé à Fontaines D.C. en décembre 2024 pour réaliser le 3è maillot (le bleu) de l'équipe. Objectif : reverser 30 % des profits sur les ventes à l'organisation humanitaire Medical Aid for Palestinians. « Défendre les Palestiniens face au génocide perpétré par Israël est d'une grande importance pour les membres et supporters des Bohemians » déclarait le club dans un communiqué.
Les grands clubs préfèrent quant à eux sacrifier toute humanité sur l'autel de la sacro-sainte diplomatie de la thuneHabituellement, la dénonciation des horreurs de ce monde et l'engagement politique ne dépassent que rarement les tribunes – encore remuantes, bien que de plus en plus étouffées – ou les équipes de seconde zone. Les instances et plus grands clubs préfèrent quant à eux sacrifier toute humanité sur l'autel de la sacro-sainte diplomatie de la thune. En témoigne l'amende de 17 500 euros infligée par l'UEFA (Union européenne des associations de football) en octobre 2023 au Celtic Glasgow pour le soutien affiché de leurs fans à la cause palestinienne.
Les Bohs n'en sont pas à leur coup d'essai ! En 2020, pour dénoncer le Direct Provision, le système défaillant irlandais de prise en charge des exilé·es, iels s'associent à Amnesty International et au Movement of Asylum Seekers Ireland (MASI) pour réaliser un autre maillot sur lequel iels placent le message « Refugees Welcome » au centre – à l'endroit normalement dédié au sponsor principal. Une initiative qui donne de l'air sur une île rongée par les actes de violence xénophobe, en constante augmentation, et qui touchent principalement les personnes exilées depuis les émeutes racistes de Dublin de novembre 20231.
Dans un milieu toujours plus financiarisé, où des fonds d'investissement prennent les passionné·es de baballe pour des vaches à lait, les Bohs proposent un modèle alternatifSi tout cela est rendu possible, c'est qu'il n'y a aucun intérêt financier supérieur au club. Le Bohemian Football Club est tout simplement détenu à 100 % par ses supportrices et supporteurs qui payent une adhésion annuelle et décident quelles causes le club doit soutenir, le prix des billets, les projets de rénovation de leur stade... En 2020, le club décide de recruter Daniel Lambert pour le poste de Chief operating officer (Directeur des opérations), lui qui n'est autre que le manager de Kneecap. La boucle est bouclée !
Alors oui, on peut légitimement arguer que faire de ses engagements sociaux et politiques des arguments marketing pour vendre plus de places et de produits dérivés n'est pas jojo. Mais il permet d'apporter une visibilité et une aide matérielle nécessaires aux Gazaoui·es qui en ont désespérément besoin. Dans un milieu toujours plus financiarisé, où des fonds d'investissement prennent les passionné·es de baballe pour des vaches à lait, les Bohs proposent un modèle alternatif. « Il existe peu d'institutions dans ce monde qui tiennent fermement et sans fléchir face à l'oppression. Le Bohemian F.C. en fait partie […]. On sera toujours à leurs côtés », clamait Carlos O'Connell, le guitariste de Fontaines D.C2. Le football, comme la musique, ne devient-il pas un prétexte pour se rassembler et commencer une révolution ?
Eliott Dognon


