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Et ça gratte
29 novembre, par L'équipe de CQFD — Ça brûle !Après la rentrée de septembre, l'équipe a mis les mains dans le cambouis. Les jeunes pousses et le conseil des sages se sont réunis pour le plénum annuel. Pour le point finance, Vé à la baguette. Camemberts, graphiques en bâton, tableau Excel et PowerPoint, une armada à émouvoir les comptables les plus chatouilleux. Bon, nous les chiffres ce n'est pas notre fort, mais on a compris une chose : on est dans la merde. Action, réaction ! Tout en préparant le numéro de novembre (et celui de décembre), la réunionite a gangréné CQFD : il a fallu pondre une campagne de dons en deux semaines. Album de reprises de tubes punk, flash mob sur la Canebière, concert sur le Vieux-Port façon Les Enfoirés, bouteilles à la mer, on a minutieusement étudié toutes les pistes. Finalement on est resté plus tradi : un texte bien ficelé, une soirée de soutien dans quelques mois, la présentation du dernier numéro au café-librairie Manifesten et une cagnotte en ligne.
Deux innovations quand même, et pas des moindres. D'abord la rédaction s'est enrichie d'un nouveau membre : Paul, du pôle vidéo. Ça ne s'invente pas… Arrivant avec une motivation à toute épreuve et une vision globale, notre vidéaste en chef a rapidement pris les choses en main pour nous pondre un appel à soutien du feu de Dieu. La seconde : une cuvée CQFD, brassée dans les chaudrons de notre monomaniaque de l'ex-Yougoslavie, Eliott. Faible en alcool, fruitée et houblonnée, nous souffle-t-il à l'oreille. Pas de quoi brasser des mille et des cents, mais on pourra au moins se désaltérer à l'œil. Pour le sprint final, aka le bouclage, Malo, un copain de L'Empaillé, et son fromage aveyronnais, plus proche du munster que du cantal, ont apporté un coup de fouet salvateur. Pour ce mois-ci, mission accomplie. Ouf. Toute la rédaction est maintenant suspendue à vos porte-monnaie, en espérant ne pas mettre la clé sous la porte.
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l’inestimable hirondelle
29 novembre, par Émilien Bernard — Léo Gillet
Chaque automne, la même tristesse embue nos yeux. Non seulement l'été est parti, mais les hirondelles se sont barrées en piaillant, direction les cieux africains. Leur envolée laisse un vide si béant qu'aux jours gris on se surprend à revisiter leurs plus beaux exploits. Symboles de la renaissance printanière, ces merveilles ailées effectuent chaque année un aller-retour migratoire pouvant atteindre les 20 000 km, avec pour seuls vivres quelques grammes de graisse. Lasse, l'espèce humaine préfère Pékin Express. Et elle est si dénuée d'âme qu'elle a choisi l'horrible verbe « trisser » pour désigner ses gazouillements. Surtout, pesticides et autres calamités concoctées par l'homo saccagus s'allient pour drastiquement décimer leur population en Europe et en Amérique du Nord. Alors parfois Madame se venge, anti-indus jusqu'au trognon. C'est le cas d'une poignée d'hirondelles des rivages qui mettent des bâtons dans les roues d'un monstrueux projet de complexe hôtelier/Spa près de Saint-Malo. Censée être bâtie en surplomb de la plage du Minihic, ladite monstruosité pourrait bien finir le bec dans l'eau, grâce à des couples d'hirondelles installées sur des falaises à proximité. Car, oui, ces petites rebelles sont protégées. Maxihic pour les promoteurs. Et l'occasion de rappeler à quel point ces volatiles inspirent les plus belles envolées émeutières. Comme le disait Shakespeare dans Richard III : « L'espérance vertueuse va vite : elle possède les ailes de l'hirondelle ». Mégachic.
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Le brame du chef
29 novembre, par L'équipe de CQFD — ÉditoQu'est-ce qui est pire ? Que le président (petit « p ») des USA signe un décret qualifiant les antifascistes de terroristes ? Ou que des cohortes de partisans fanatisés envahissent les réseaux pour menacer toute personne critique, à l'image de l'historien de l'antifascisme Mark Bray, forcé de fuir son pays sous l'avalanche de menaces de mort ? Les deux, mon général. Si Trump est l'aboyeur en chef, il est suivi par une kyrielle de délirant·es boute-feux. Tandis que sa ministre de la Justice Pam Bondi promet de « détruire l'organisation [antifa] du sommet à la base », la secrétaire à la Sécurité intérieure Kristi Noem pousse le bouchon plus loin, bramant « ils ont infiltré notre pays entier ». Cette dernière assertion serait fort plaisante si elle n'était pas totalement imaginaire.
En adoptant cette rhétorique outrancière et en dépeignant un pays à feu et à sang, Trump et ses affidés ne font que mimer le comportement de tout pouvoir fasciste : pointer des boucs-émissaires et inventer de toutes pièces un ennemi intérieur. Qu'importe si le martyr fasciste Charlie Kirk a été buté par un individu aux convictions politiques aussi embrouillées qu'un rassemblement d'adeptes de la Terre plate. Et qu'importe si les déclarations de Trump sont d'un ridicule achevé quand il dénonce des « anarchistes corrompus », se payant avec l'argent des conspirateurs des « imprimantes très chères » et du « beau papier » (brrr). L'essentiel est de faire passer le message : avec nous ou contre nous.
Cette inversion de la réalité est intrinsèquement liée à l'essor de la post-vérité et de réseaux sociaux démultipliant les haines. On la retrouve chez Orban ou Milei, pourfendeurs eux aussi d'un virus woke fantasmé, de gauchistes assoiffés de sang et d'opposants financés par des ennemis de la nation. L'Internationale du mensonge n'est pas soluble dans le « fact-checking », elle s'en nourrit, crachant à la gueule de celles et ceux qui pointent ses errements. Oui, la guerre des mots est déclenchée et nous sommes en train de la perdre.
Alors quoi ? Comment résister à cette vague ? Rencontrée aux États-Unis, la militante acharnée Billie refuse de baisser les bras : « Je décide d'être optimiste, sinon je me noierais dans l'alcool jusqu'à la mort. » Et d'ajouter : « C'est l'ultime conflit. » Un conflit qui se joue autant dans la rue que sur le terrain des imaginaires. Si la gauche au sens large ne parvient pas à construire un récit désirable, à opposer aux délires réactionnaires une ligne attractive à mille lieues de la molle bouillie socdem, il sera peut-être possible de reprendre la main. De ressusciter l'utopie, la belle, la désirable, en mêlant lutte des classes et lutte des affects. Sinon : nous pataugerons encore davantage dans une boue politique nauséabonde. Utopistes et antifascistes, sortez l'artillerie. Ça urge.
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On n’achève pas les punks
26 novembre, par Émilien Bernard — BouquinD'aucuns disent de lui qu'il est « l'écrivain inconnu le plus connu d'Amérique ». Et qu'on ne saurait trouver meilleur conteur de l'histoire des squats bordéliques et des boucans punks. Pas faux. Ajoutons qu'après avoir lancé son iconique et pétaradant fanzine Cometbus au début des années 19801, Aaron Cometbus n'a rien lâché. Dans Post-mortem, il déroule l'une de ses obsessions : que reste-t-il des utopies underground fréquentées au fil des décennies ?
« Comment faire durer les choses que l'on aime ? » La question n'a rien d'anodin. Surtout formulée par Aaron Cometbus, amoureux proclamé des causes perdues – des squats autogérés aux micro-labels de punk, en passant par les librairies férocement contre-culturelles ou les éditeurs fondus de publications déjantées. De New York à San Francisco en passant par Seattle, dans Post-Mortem (Demain les flammes & Nœuds éditions, 2025), il part en chasse de ses amours rebelles passés, entre inventaire et autopsie. Pas simple. « Les nobles idéaux, c'est mon truc, écrit-il. Mais je voulais dépasser la rhétorique et comprendre ce qui fonctionnait dans la réalité. » En découlent de belles retrouvailles et des constats d'échec, des tonnes de nostalgie et la joie de retrouver ce qui parfois perdure. En fond sonore, l'impression d'une épidémie de perdition, entre succès qui tronçonnent l'idéal et disparition pour cause d'épuisement. Rageant : « Nous étions si nombreux, prêts à œuvrer gratuitement pour la cause. Nous devrions posséder le centre-ville de toutes les grandes villes à l'heure qu'il est. »
Bilan en demi-teinte, donc. D'autant plus qu'il est difficile de démêler ce qui est nostalgie de boomer et vision objective. « Je dois vraiment résister à la tentation de devenir cette personne qui dit : “barrez-vous de ma pelouse, sales gamins” ! » avoue l'un de ses interlocuteurs, roi de la BD underground désormais un peu déphasé. Et c'est là que la recension percute l'actualité de ce journal. Et que je délaisse mes pages et pages de notes sur l'excellent Post-mortem pour rebondir sur notre situation.
Moi-même désormais vieux con, je suis d'autant plus épaté par les capacités de CQFD à se renouveler au fil des ans sans dévier d'une ligne intransigeante, ce mordre et tenir qui anime le canard depuis sa naissance. Ça change, ça évolue, ça rajeunit, mais le fond reste le même, acharné à ruer contre l'air du temps. Une certitude : tenir aussi longtemps est un exploit. Plus de vingt ans à batailler contre vents et marées dans les kiosques, l'exploit n'est pas mince. « Peut-on perdurer sans perdre son âme ? » s'interroge le barde punk. À ça, on peut répondre sans rougir que yep, on peut (même si on a plus que jamais besoin de votre soutien ! ! !). Avec cette certitude : tant qu'on n'aura pas mordu la poussière, on lâchera rien. Taïaut, encore et toujours.
Émilien Bernard
1 Pour une description énamourée de son approche de la micro-édition, lire « Les fanzines ont des ailes (les punks et les bouquinistes aussi) », CQFD n°205 (janvier 2022).
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Grève lucide pour la Palestine
26 novembre, par Ricardo Robles — Alex Less
Après une décennie blanche, le syndicalisme combatif de nos voisins d'outre-Pyrénées a renoué avec la stratégie de la grève nationale le 15 octobre dernier pour s'opposer au génocide en Palestine. Nous revenons sur ces mobilisations depuis la banlieue madrilène de Getafe.
Après le succès du boycott de la compétition cycliste espagnole La Vuelta1, le mouvement solidaire envers le peuple palestinien avait deux options : soit continuer le combat contre le génocide soit baisser les bras. Malgré les résistances des deux plus grosses bureaucraties syndicales, Comisiones Obreras et l'Unión General de Trabajadores (UGT), proches du patronat et du gouvernement de Sánchez, les syndicalistes combatifs ont su imposer la première option : une grève, aussi exceptionnelle qu'expérimentale, puisque l'Espagne n'a pas connu de grève générale à l'échelle nationale depuis 2012.
Hypocrisie des socialistes espagnolsLa mobilisation ne s'inscrit pas seulement en solidarité avec le peuple palestinien, mais signale aussi un ras-le-bol généralisé contre le capitalisme et l'impérialisme. En guise d'illustration du double jeu des socialistes à la tête du gouvernement espagnol : el famoso décret royal du 24 septembre dernier. Alors qu'il était censé prévoir un embargo sur le matériel militaire en provenance et à destination d'Israël, en réalité, le décret n'inclut le transit d'armes ni par voies aériennes au sein des bases militaires états-uniennes installées en Espagne, ni celui par voies navales via le détroit de Gibraltar. Drôle d'embargo… qui montre que le gouvernement espagnol est bel et bien un solide partenaire d'Israël.
Alors que depuis octobre 2023, Pedro Sánchez, membre du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et président du gouvernement, multiplie les appels au cessez-le-feu, l'Espagne reste le premier client d'Israël au sein de l'Union européenne dans l'importation d'armement. Entre octobre 2023 et mai 2025, la Chambre de commerce espagnole chiffrait ces opérations à plus de 54 millions2. Et pour ce même mois de mai, l'État espagnol a capté 78 % des exportations d'Israël vers l'Europe.
Et la solidarité entre impérialistes ne s'arrête pas là. Israël joue un rôle incontournable dans la crise du logement espagnol : de nombreux bâtiments historiques des grandes villes (Barcelone3, Malaga) ont été vendus à des fonds d'investissement privés israéliens. Inversement, l'entreprise basque Construcciones y Auxiliar de Ferrocarriles est impliquée dans la construction de voies ferrées dans les colonies israéliennes en Cisjordanie4. Comme le dit Elias, militant étudiant madrilène de Contracorriente5 rencontré lors d'une conférence sur la Palestine à Getafe, « la Palestine est devenue le Vietnam de la génération Z, le symbole qui concentre la synthèse de la crise du système capitaliste, la méfiance envers les gouvernements et les entreprises ».
Bras de fer syndicalTandis que les manifestations propalestiniennes des 3, 4 et 5 octobre étaient réellement massives, le bilan du 15 reste mitigé. La grève a été bien peu suivie à Madrid. En contrepartie, succès dans les territoires à forte tradition ouvrière. À Euskal Herria (Pays basque), le nombre de grévistes est estimé par les syndicats autour de 100 000 personnes, la plupart dans le secteur de l'éducation, le secteur portuaire de Bilbao ainsi que dans des entreprises impliquées dans le génocide comme Unilever ou Pepsi. En Països Catalans (Catalogne), le suivi de la grève a été significatif dans les facs et les docks. Le taux de mobilisation est aussi variable selon les secteurs, celui de l'éducation en tête.
La réticence des bureaucraties syndicales immobilistes de Comisiones Obreras et UGT à faire grève en la retardant le plus possible s'est vite fait ressentir dans les forces militantes, déjà un peu essoufflées le 15 octobre. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : tandis que la manif' madrilène du 4 octobre comptait 100 000 manifestants, celle du 15 en comptait à peine 70 000… Pour de nombreux militants comme Elias, la date du 15 était trop tardive et il aurait été préférable d'appeler à la grève générale le 4 octobre, plus proche des dates des grèves italiennes et françaises.
Deux bonnes nouvelles cependant. D'abord, la réactivation du mouvement étudiant, solidaire des syndicalistes comme de la Palestine, illustré par le piquet conjoint entre les grévistes d'Airbus et les étudiants de l'université Carlos 3, le 5 octobre à Getafe. Mais aussi la revitalisation du syndicalisme combatif à l'initiative de cette grève : ces dernières années, une panoplie de petits syndicats indépendantistes (basques, catalans ou andalous), anarcho-syndicalistes ou trotskystes ont vu leur nombre d'adhérents augmenter. Espoir d'un regain combatif dans le pays ? Une nouvelle date paraît s'annoncer : 29 novembre…
Ricardo Robles
1 Lire « La Vuelta gagnée par le mouvement pro-Palestine en Espagne », CQFD n° 245 (octobre 2025).
2 Les analyses détaillées par secteur d'activité et par pays sont disponibles sur le site officiel de DataComEx : datacomex.comercio.es
3 Voir le rapport « Complicitats del sector immobiliari i turístic de Catalunya amb l'ocupació de Palestina », publié par l'ODHE (mars 2025).
4 « Colaborar con la ocupación israelí se convierte en un mal negocio para las empresas españolas », El Salto (5/09/2025).
5 Une organisation marxiste trotskyste étudiante.



