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La Grèce abat des moutons en masse
27 décembre — Morceaux volésDans cette enquête, le média hellénique Solomon révèle les défaillances de l'État grec face à la variole du mouton qui a entraîné le pays dans une crise de l'élevage1.
« La bergerie sent encore légèrement le lait. Les auges à nourriture reposent dans le silence sous une épaisse couche de poussière, et un calendrier accroché au mur indique encore le 18 juillet – jour où Giorgos Kouteris, 43 ans, et sa femme, Nancy Kaliva, 40 ans, se sont occupés de leurs animaux comme d'habitude, mais pour la dernière fois.
Quatre jours plus tard, les résultats du laboratoire confirment ce qu'ils craignaient : la variole ovine, une maladie virale à propagation rapide qui peut décimer des troupeaux de moutons et de chèvres. À la tombée de la nuit, le 2 août, le troupeau qui avait fait vivre leur famille pendant des décennies – environ 700 animaux – avait disparu. [...]
Une catastrophe prévisible[...] Début 2025, la maladie atteignait la Thessalie, le cœur de l'élevage grec. Selon les autorités régionales, plus de 160 000 animaux ont été abattus début novembre pour contenir le virus. […]
Dans de nombreux foyers de Thessalie, les moutons et les chèvres ne sont pas seulement une tradition, mais une bouée de sauvetage économique. La région produit plus de 15 % du lait grec, environ 11 % de sa viande et 47 % de ses fromages à pâte molle. La feta, qui représente 70 % des fromages produits en Thessalie, est la deuxième exportation la plus importante de la région après l'huile d'olive. [...]
Des documents internes de l'Union européenne (UE) [...] montrent que des mois avant le début des abattages massifs, la Commission européenne avait exhorté la Grèce à vacciner ses troupeaux, leur offrant des doses gratuites, un soutien scientifique et un cofinancement via la banque de vaccins de l'UE. La Grèce n'a pas agi.
Écartant la vaccination, les autorités se sont tournées vers l'abattage massif, avec la mise à mort de troupeaux entiers pour tenter de contenir la maladie. La suite fut chaotique et traumatisante : ce sont des décennies de travail que des familles ont vu disparaître en une journée. [...]
La vaccination entraîne d'importantes conséquences commerciales. Elle suspend le statut “indemne de maladie” et déclenche automatiquement des restrictions temporaires sur les mouvements d'animaux vivants et de produits animaux […] en provenance de la zone vaccinée.
Pression croissante, frustration du publicLe 12 septembre, près de 400 agriculteurs se rassemblent dans un théâtre à Tyrnavos, une ville de Thessalie. Certains se tiennent debout sur des chaises, d'autres crient depuis les allées, exigeant des réponses. […]
En juillet, un fonctionnaire du ministère grec de l'Agriculture – en visite à Larissa, la capitale de la Thessalie – aurait dit aux agriculteurs qu'il n'existait pas de vaccin, affirmant que les doses disponibles provenaient de “pays tiers” et non approuvés par l'UE. […]
Le prix du label “sans maladie”[...] Depuis le début de l'épidémie, plus de 350 000 animaux ont été abattus à travers la Grèce, selon les chiffres officiels cités par Dimitris Kouretas, gouverneur régional de Thessalie. […] Si la maladie continue de se propager sans contrôle, a-t-il averti, 50 000 tonnes supplémentaires de feta pourraient être perdues, ce qui équivaut aux exportations annuelles du pays. […]
En Thessalie, les granges sont calmes. Les agriculteurs attendent — la permission de refaire leur stock, des compensations, des réponses. […] »
Lydia Emmanouilidou, Corina Petridi, Iliana Papangeli
1 « Greece rejected the EU's sheeppox vaccine, opting for mass slaughter. The virus is spreading », Solomon (07/11/2025).
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L’immonde culture de l’inceste
27 décembre, par Thelma Susbielle — Le dossierPartout dans la culture française – films, séries, chansons, porno, mythes fondateurs – l'inceste s'affiche, mais rarement comme une violence. Romantisé, humorisé ou mis hors champ, il devient un motif familier plutôt qu'un crime, participant à sa banalisation autant qu'à un vaste déni collectif.
Selon l'essayiste féministe Valérie Rey-Robert, la culture du viol s'appuie sur des représentations qui excusent les agresseurs et culpabilisent les victimes. Pour l'inceste, le mécanisme est similaire : un imaginaire nourri de récits, de symboles et de mythes qui transforment une domination adulte en histoire d'amour impossible, en provocation arty ou en simple ressort narratif. L'inceste est partout, mais jamais nommé pour ce qu'il est.
L'exemple le plus emblématique reste Serge Gainsbourg et sa fille Charlotte. En 1984, la chanson « Lemon Incest » met en scène le chanteur et son aînée de 14 ans, dans une chorégraphie calquée sur ses fantasmes. À la télévision comme dans le clip, elle apparaît en culotte blanche, lui torse nu. Les paroles (« L'amour que nous n'ferons jamais ensemble / est le plus beau, le plus violent ») célèbrent explicitement un désir paternel. Tout cela au vu et au su du pays, dans un silence qui en dit long sur le système incestuel : imposture familiale, complicité du monde culturel, excitation du public. L'inceste est là, face caméra, Charlotte est l'objet de désir de son père, dans le silence assourdissant des spectateurs. Au cinéma, Mathilda dans Léon ou la Lolita du film éponyme de Kubrick, promeuvent l'idée qu'une enfant peut séduire un adulte. La figure de la nymphette s'impose dans les productions culturelles...
Quand l'interdit devient un fantasme culturelDans Game of Thrones, l'inceste fraternel entre les jumeaux Cersei et Jaime Lannister est présenté comme un amour tragique entre deux êtres « égaux ». Or, comme le rappelle la journaliste Iris Brey dans La Culture de l'inceste : « L'inceste dans une fratrie se déploie presque toujours dans un climat familial incestuel. » La série naturalise un lien incestueux en déniant la domination masculine systémique et en neutralisant tout effet de violence patriarcale.
Le porno mainstream participe lui aussi à cette banalisation. Dans La Culture de l'inceste, Ovidie montre que le tag le plus recherché est « step-mum ». Une belle-mère séductrice et décomplexée initie un jeune homme qui semble ravi : aucune conséquence, aucune sidération, aucune violence. L'inceste devient un simple fantasme.
Cette normalisation et ce déni culturel s'inscrit dans un héritage culturel très français : celui de la « libération sexuelle » soixante-huitarde, portée comme un étendard progressiste mais qui, dans les faits, a légitimé des discours pédocriminels. Au point de théoriser un droit des adultes à « éveiller » sexuellement des enfants. L'écrivain pédocriminel Gabriel Matzneff en est le porte-étendard. Longtemps invité sur les plateaux télé, soutenu par l'édition et les milieux intellectuels bourgeois, cet immonde personnage livrait ses aventures sexuelles avec des mineurs comme une posture littéraire, défendant une vision « anti-moraliste ».
Tant que la culture romantisera, sexualisera ou minimisera l'inceste, les agresseurs continueront de violer. Parce que la violence est un continuum. Nommer et représenter l'inceste dans sa dimension systémique est le premier pas pour en finir avec le déni collectif et protéger les enfants.
Thelma Susbielle -
Briser le tabou avec la plume
27 décembre, par Thelma Susbielle — Maïda Chavak, Le dossier
Contre la silenciation qui entoure les faits d'inceste, certaines victimes font de leur histoire des récits littéraires. En France, ces ouvrages ont largement participé au mouvement #MeTooInceste. Quand l'inceste fait système, l'écrit devient une arme puissante.
La bascule arrive en 2021 avec la publication de La Familia grande (Seuil, 2021) de Camille Kouchner, qui traite l'inceste du point de vue d'une témoin. Pour la journaliste Iris Brey, cette mise à distance de la souffrance de l'incesté permet à la société française de mieux l'entendre. La position sociale de la famille Kouchner, très médiatique, y participe sans doute aussi. Sur Twitter déferlent alors des milliers de témoignages, précédés du hashtag #MeTooInceste. La société découvre que l'inceste n'est pas un cas isolé, mais un système, verrouillé par le silence qui englobe aussi les témoins. Aujourd'hui, ces paroles s'imposent sur des supports variés, de l'essai à la page Instagram militante et de la BD au fanzine.
Dans la vie comme dans la littérature, l'inceste s'accompagne d'une culture du secretAvant que le sujet ne devienne audible, quelques auteur·ices ont tenté d'énoncer ce qui ne devait pas être dit. En 1995, Claude Ponti publie Les Pieds bleus (L'Olivier), un livre dans lequel se perçoivent les sévices que l'auteur a subis enfant. Une fiction qui lui permet de publier l'irreprésentable, sans nommer ni coupable ni contexte. Ce n'est qu'en 2018 qu'il confiera publiquement sa dimension autobiographique. À l'époque, parler d'inceste c'est s'exposer à la violence médiatique, aux procès d'intention, ou aux accusations de provocation…
Contre la culture du secretDans la vie comme dans la littérature, l'inceste s'accompagne d'une culture du secret. Pour la contourner, certains récits, usent de motifs symboliques comme les portes closes et les vieilles photographies. Dans Triste tigre (P.O.L, 2023), Neige Sinno, elle, choisit d'attaquer le secret de front en détaillant les faits et ajoute à son récit des coupures de presse, des lettres au procureur et des citations du procès. Autant de preuves matérielles pour consolider une parole sans cesse menacée : pour elle, écrire n'est pas une thérapie mais un geste de vérité et de liberté face à la contrainte du mensonge imposée par les agresseurs. « La littérature ne m'a pas sauvée », affirme Neige Sinno. Mais elle a ouvert un espace où le réel peut enfin être nommé. Le rapport 2023 de la Ciivise le rappelle : la littérature permet de penser les violences, de les ressentir, de comprendre les logiques de domination qui les soutiennent.
Roman, autofiction, essai, journal, poésie, œuvre graphique : les récits d'inceste traversent les genres et les supportsL'inceste ne se contente pas d'abîmer les corps ; il s'attaque à la construction de soi. La violence de l'inceste détruit la possibilité de se penser comme un sujet libre et légitime, en coupant les victimes de leurs émotions, de leur corps et de leur parole. Le secret pèse dans le roman Cui-Cui (Seuil, 2025), de Juliet Drouar : la révélation se fait par fragments et les scènes d'inceste ne sont pas décrites. Cette mise à distance via un récit écrit à la troisième personne reproduit les phénomènes de dissociation. Comme l'explique le thérapeute dans son essai Trauma, en finir avec nos violences (Stock, 2025) : « Les traumatismes produisent ce genre de vivacité et cette sensation d'avoir des parties de soi présentes et partitionnées. »
Construction d'un savoir protéiforme et collectifRoman, autofiction, essai, journal, poésie, œuvre graphique : les récits d'inceste traversent les genres et les supports, ils les mélangent. Ou peut-être une nuit (Grasset, 2021) de Charlotte Pudlowski naît d'un podcast ; Ce que Cécile sait, journal d'une sortie d'inceste (Marabout, 2024) découle d'un long travail d'illustration d'abord publié sur Instagram.
La multiplication des supports fait émerger une polyphonie de voix, de sensibilités et d'analyses. Certains récits relèvent presque de l'autotheory1 : ils mêlent expérience intime, conceptualisation et savoirs militants. Dans son livre, Cécile Cée décortique les mécanismes qui permettent ces violences et questionne le rôle des proches, des institutions, de la société. De même, en parallèle de son récit personnel, Neige Sinno s'éloigne du simple témoignage et s'interroge sur le traitement judiciaire des agresseurs. Juliet Drouar, insiste sur cette complémentarité de la théorie et d'écrits plus sensibles : « Il y avait une séparation arbitraire qui est en train de se résorber aujourd'hui : accepter de se situer plutôt que d'être dans une forme d'abstraction. »
Autre caractéristique : ces textes se parlent entre eux. Ils créent un espace commun où l'inceste cesse d'être une histoire individuelle pour devenir un phénomène social. Cette écriture collective fabrique une archive vivante en construction permanente qui permet non seulement de lutter contre l'effacement de l'identité des victimes, mais qui révèle aussi un renversement du seuil de tolérance sociale. Si la littérature ne répare pas tout, elle permet au moins aux victimes de reprendre en main leur propre récit. Mieux, « ton histoire, elle peut aider », dit son fils à Cécile Cée, à la fin de l'ouvrage.
Thelma Susbielle
1 Pratique littéraire qui mêle autobiographie/mémoire et théorie critique : le vécu de l'auteur·ice sert de terrain d'investigation philosophique et intellectuel.
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Des bandes de jeunes contre les nazis
20 décembre, par Jonas Schnyder — BouquinAvec Meutes, Swings et Pirates de l'Edelweiss, l'historien allemand Sascha Lange nous plonge dans l'univers méconnu des bandes de jeunes sous l'Allemagne nazie. Une histoire de contre-cultures en résistance par la danse comme par les poings.
« Le spectacle de 300 personnes qui dansaient était terrifiant. Aucun couple ne dansait de façon à peu près normale. Les gens swinguaient de la façon la plus ignoble et la plus extrême […]. Chez certains on pouvait même sérieusement douter de leur santé mentale », rapporte un membre halluciné de la patrouille des Jeunesses hitlériennes (JH) en infiltration dans une fête à Hambourg. Nous sommes en Allemagne en février 1940 et les nazis n'arrivent pas vraiment à faire appliquer leurs lois visant les jeunes (adhésion obligatoire aux JH, couvre-feu, censure politique et culturelle, participation à l'effort de guerre…) Cela fait pourtant plus d'une décennie que l'État fasciste en devenir surveille cette jeunesse allemande qui a soif d'autonomie et de vie culturelle, et qui se regroupe en bandes – composées d'un quart à un tiers de filles – pour organiser des activités en dehors de la tutelle des adultes, de l'État et des partis politiques… Mais dans cette Allemagne crépusculaire, partir en excursion dans la nature, écouter les derniers vinyles de swing, chanter des chansons populaires ou s'habiller selon ses propres codes revient à défier le IIIe Reich.
De l'histoire peu connue des bandes de jeunes en Allemagne, l'historien allemand Sascha Lange nous fait un passionnant tour d'horizon dans Meutes, Swings et Pirates de l'Edelweiss : contre-cultures jeunes dans l'Allemagne nazie (éditions BPM, 2025). Qu'elles soient issues de la classe ouvrière ou bourgeoise, politisées (de gauche ou de droite) ou non, organisées ou informelles, toutes avaient en commun de refuser, consciemment ou non, l'endoctrinement – puis l'enrôlement – du régime nazi, en chantant, en dansant ou en se bastonnant. « Notre groupe ne s'intéressait pas à la politique et ce sont les nazis qui nous ont poussés à la confrontation en raison de nos goûts musicaux, de nos accoutrements et de nos coiffures », se remémore Heinz Koch, de la Meute des Hallois de Gosen, à l'ouest de Leipzig. Une résistance au conformisme que Johann Chapoutot qualifie, dans la préface, de Resistenz au sens de résistance des matériaux, où la lutte « c'est peut-être moins faire dérailler un train ou tenter d'assassiner Hitler que croiser les bras lorsque tout le monde le tend ».
Mais au fil de la guerre la répression s'intensifie et, surveillés par la Gestapo ou victimes de dénonciation, des centaines de jeunes sont condamnés, non plus à une journée de formation après s'être fait coupé les cheveux, mais à de la prison ferme, aux camps de travail, ou tout simplement condamnés à mort et exécutés en prison, pour un tract, des graffitis ou une bagarre de rue. Reste qu'on ne tue pas si facilement « une envie irrépressible de liberté » et cet ouvrage touffu où s'entrecroisent récits de luttes, images d'archives, témoignages des jeunes de l'époque, rapports de la Gestapo et – comme il est de coutume avec les éditions BPM1 – beaucoup de références musicales, est un appel à retrouver le goût et l'urgence de swinguer contre le fascisme.
Jonas Schnyder
1 « Bouquins de zik : “Des trucs qui te tiraillent en restant populaires” », CQFD, n° 223 (octobre 2023).
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Le maton qui guette (en moi)
20 décembre, par Lluno — Chronique carcéraleLuno est bénévole en prison et nous en livre un aperçu chaque mois. Un regard oblique sur la taule et ses rouages, par quelqu'un qui y passe mais n'y dort pas. Deuxième épisode : que des fachos dans ces quartiers (pénitentiaires).
Il y a quelques années, je suis tombé en stop sur un fonctionnaire du Spip. Le Spip c'est un service pénitentiaire d'insertion qui porte le même nom que l'écureuil de Spirou – ce qui est assez chou, mais la comparaison s'arrête là. Le gars m'avait confié qu'il venait de quitter la prison où il bossait parce qu'elle était « gangrénée par une équipe de matons fachos ». Selon lui, c'était de notoriété publique dans l'AP1, les gardes-chiourme s'organisaient pour faire recruter leurs potes, ce qui avait fini par rendre l'atmosphère particulièrement nauséabonde. Lui était parti pour un poste en « milieu ouvert », dépité.
J'avais appris deux trucs dans cette bagnole : d'abord qu'il existait des Spip de gauche qui écoutent les Bérus et qu'il y avait des prisons encore pires que les autres. Cette image du gang de fafs en uniforme bleu me hantait sans pour autant me surprendre totalement. Dès que j'ai pu, je me suis donc tourné vers la meuf du Spip de la Maison d'arrêt où j'interviens :
« – T'en penses quoi toi, Dominique, de cette histoire ? C'est vrai qu'il y a des prisons connues pour être des repaires de matons fachos ?
– Oh fachos, fachos, a-t-elle commencé par grommeler comme si j'exagérais. Ils sont tous un peu fachos, tu sais ! Ici c'est probablement du 100 %... Après il y a ceux avec qui on peut quand même blaguer, et puis les autres. »
Merde alors ! Mais, elle fait comment Dominique ? Elle qui a l'air si sympa avec son grand sourire coiffé d'un charmant bégaiement. Elle qui vient du militantisme écolo... Elle fait comment pour aller bosser tous les matins et dire bonjour, salut, merci, bonne année, à lundi ? Forcément, quelque part, elle a dû se faire ronger par l'ambiance générale, abdiquer des choses !
J'en étais là, à me demander s'il était possible de circuler longtemps en taule sans finir par soi-même penser comme une porte à barreaux, quand j'ai eu un début de réponse. Je discutais avec un détenu à peine majeur, « primaire », c'est-à-dire emprisonné pour la première fois. C'était la fin de notre atelier jeux de société et je lui ai souhaité bon week-end, bon courage. C'est là que j'ai capté, en me retournant, qu'il m'avait chouré un jeu de cartes. Je ne sais pas ce qui m'a pris mais je l'ai rattrapé dans le couloir pour lui demander s'il n'avait pas oublié quelque chose. Le môme a baissé les yeux et sorti le paquet de la poche de son survêt' Tacchini. Entre temps, j'avais repris mes esprits, mais c'était déjà foutu : derrière moi un surveillant déboulait, curieux. Il valait mieux que tout ça rentre dans l'ordre rapidement. Le détenu a marmonné qu'il n'avait pas fait exprès, j'ai répondu moi non plus, ce qui ne voulait rien dire dans le contexte. Le surveillant a détourné les yeux, gueulé « casqueeette ! » pour qu'un type dans l'escalier la retire et nous a oubliés. Tout était fini. J'ai regardé mon pauvre jeu de cartes et j'ai eu salement envie de chialer : je n'étais pas devenu maton mais déjà un bon vigile.
Luno
1 L'Administration pénitentiaire, couramment abrégée AP.


