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Au sommaire du n°229 (en kiosque)
4 avril, par L'équipe de CQFD — Quentin Dugay, Clément Buée, Élias, Amaan Ahmed, une1_sommaire, une_rubrique_agendaDans ce numéro 229, c'est le retour de notre formule trimestrielle de 32 pages ! Un dossier spécial détachable sur l'Inde « Mousson brune : fascisme et résistances en Inde » nous emmène voir le pays le plus peuplé du monde autrement, auprès d'une société indienne qui tente de s'opposer à Narendra Modi et son suprémacisme hindou. Hors-dossier, des destinations plus improbables encore : CQFD s'invite dans les forêts du Limousin, à Montpellier observer la sécurité sociale alimentaire, et même dans la tête d'un flic. On y cause aussi droit international avec l'état d'Israël en ligne de mire, on y croise une renarde comme dans le petit prince, et on écoute les albums de Ben PLG et le pépiement des oiseaux printaniers.
Quelques articles seront mis en ligne au cours du mois. Les autres seront archivés sur notre site progressivement, après la parution du prochain numéro. Ce qui vous laisse tout le temps d'aller saluer votre marchand de journaux ou de @|LIEN12c81c0|W3ZvdXMgYWJvbm5lci0+NF0=|@...
En couverture : « Fascisme made in India », par
Clément Buée
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Actualités d'ici & d'ailleurs
– Dans la tête d'un flic – En février dernier, le Défenseur des droits a publié un rapport passé inaperçu qui dresse le « portrait » actuel des forces de l'ordre en France. Entre l'idée que la force peut primer sur le droit et la méfiance envers la population, ses conclusions sont bien inquiétantes.
– Palestine : le droit international en action – Les mois passent à Gaza. Aux massacres en cours s'ajoutent la famine et nous sommes nombreux·ses à buter sur la question : que faire ? Du côté du droit international, des centaines d'avocat·es du monde entier sont entré·es en action pour contrer les agissements de l'État d'Israël. Et de la Cour pénale internationale à la Cour internationale de justice s'ouvre un champ de bataille majeur pour la lutte du peuple palestinien.
– Au CRA de Vincennes, rébellion et répression – Au centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes, le plus grand de métropole, l'État enferme les étrangers jugés indésirables et se montre déterminé à mettre fin à toute forme de protestation.
– À Brest, préfet répressif contre milieu associatif – En janvier dernier, le média breton Splann !révélait que quatre associations brestoises faisaient l'objet de refus de subvention. Leur point commun ? Une proximité supposée avec la salle autogérée de l'Avenir, rasée fin juillet, dans un contexte d'inquiétant raidissement répressif.
– @|LIEN12c81c0|W0R1IGJpbyBwb3VyIGxlcyBwcsOpY2FpcmVz4oCJIS0+NDE4NF0=|@ – Pendant que l'agro-industrie épuise les sols et laisse producteurs et consommateurs sur le carreau, à Montpellier, on expérimente la caisse alimentaire commune. Objectif : ne plus sacrifier l'alimentation sur l'autel d'un budget trop serré et promouvoir un modèle agricole plus solidaire et durable.
– La forêt limousine n'est pas une marchandise – Cela fait plusieurs décennies que la scierie industrielle Farge Bois ne cesse d'étendre son emprise sur la forêt limousine, au détriment des riverains et de l'environnement. Et dans la lutte contre son agrandissement, s'entrechoquent deux visions radicalement différentes de ce qu'est une forêt.
– @|LIEN12c81c0|W0E04oCJOiBHcmFpbmVzIGRlwqBzb2xpZGFyaXTDqS0+NDE3N10=|@ – L'association A4 – pour association d'accueil en agriculture et artisanat – va bientôt fêter ses 3 ans d'existence. L'occasion pour deux de ses membres de nous expliquer comment ils et elles ont monté ce réseau de solidarité entre le monde agricole et des personnes en difficulté, avec ou sans papiers.
– Marseille : chasser les vautours de la ville – Avec Du taudis au Airbnb, l'ami Victor Collet signe un ouvrage qui retrace cinq années de luttes marseillaises contre le mal-logement et la dépossession urbaine. Entre gabegies municipales menant au drame de la rue d'Aubagne et envahissement par une multinationale américaine tentaculaire, il pointe les poisons qui minéralisent nos villes, esquissant des pistes pour s'y opposer. Morceaux choisis.
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Dossier spécial Inde « Fascisme, made in India »
– Édito : Mousson brune – Fascisme et résistances en Inde L'édito du dossier, mais aussi une carte et un lexique pour s'y retrouver !
– Paysans aux barricades – Mi-février, la marche sur la capitale organisée par des milliers d'agriculteur·ices exigeant un prix minimum légal pour leurs productions a été fortement réprimée. Sous le choc, celles et ceux qui nourrissent le pays racontent leurs espoirs et leurs colères à l'illustratrice indienne Vidyun Sabhaney, envoyée spéciale pour CQFD.
– « Parler de fascisme, c'est être à la hauteur de la gravité de la situation » – Autrice d'un ouvrage sur la guérilla armée en Inde, l'anthropologue indo-britannique Alpa Shah vient de publier une enquête sur la répression du mouvement social indien. À la veille d'un 3e mandat présidentiel pour Modi, c'est l'occasion de discuter avec elle du basculement de la « plus grande démocratie du monde » vers le fascisme.
– Discours génocidaires à l'ombre des décombres – Partout dans le pays, les lieux de vie, de travail et de culte de 200 millions de musulmans sont la cible d'attaques violentes et de destructions. Shivangi Mariam Raj, chercheuse indépendante et éditrice à la revue The Funambulist, parle d'une « architecture de la ruine » pour désigner ce projet d'édification de l'identité hindoue sur la démolition des espaces musulmans.
– « Nous devons baisser les yeux et ne pas faire de bruit » – Dans un article publié dans la revue The Funambulist en décembre 2022, Afreen Fatima nous raconte la destruction de sa maison familiale dans le quartier musulman d'Allahabad, au sud de l'État d'Uttar Pradesh. Extraits.
– « La sueur des flics et les larmes des familles » – Depuis septembre 2020, le militant athé de culture musulmane Umar Khalid est emprisonné sans procès pour s'être opposé à la nouvelle loi discriminatoire sur la citoyenneté. À son amie Apeksha Priyadarshini qui lui rend régulièrement visite, il raconte l'importance de l'odeur des saisons, de la sueur de ses gardiens et de la lessive de sa mère.
– Super pouvoirs contre super fascistes – Dans cette BD internationaliste, les graphistes indien·nes Orijit Sen et Pakhi Sen transforment l'oncle du prophète en super-héro twitteur. Le voilà au secours de la population de Maqam Alnehr, un village imaginaire qui résiste à l'occupation fasciste de leur source sacrée. Ici, quelques extraits.
– Les étudiant·es gauchistes payent l'addition – L'Université Jawaharlal Nehru de New Delhi a longtemps été réputée pour ses grèves étudiantes. Mais depuis décembre 2023, toute manifestation ou fresque politique est passible d'une lourde amende. Les ex-syndicalistes étudiants Anirban Bhattacharya et Banojyotsna Lahiri s'inquiètent de la destruction de cet espace de liberté dans une tribune publiée en décembre dernier.
– @|LIEN12c81c0|W0ljaSwgbcOqbWUgbGVzIGFyYnJlcyBwbGV1cmVudC0+NDE2OF0=|@ – Hasdeo Arand, l'une des plus grandes forêts de l'Inde, est fortement menacée par un mégaprojet de mine de charbon. Les habitant·es, déterminé·es, s'organisent pour faire barrage à ce nouvel écocide. Ekta, documentariste prépare un film sur le sujet. Elle nous ouvre son carnet de notes.
– @|LIEN12c81c0|W8OAIHF1aSBwcm9maXRlIGxlwqB5b2dh4oCJPy0+NDE2OV0=|@ – Zineb Fahsi enseigne le yoga, et porte un regard critique sur l'instrumentalisation de cette discipline. Du paravent « Peace and Love » derrière lequel Modi cache sa politique meurtrière, aux techniques de développement personnel en entreprise, l'autrice du livre Le Yoga, nouvel esprit du capitalisme, partage son analyse.
– @|LIEN12c81c0|W05hbWRlbyBEaGFzYWwsIHBvw6h0ZSBQYW50aGVycy0+NDE3MF0=|@ – À travers leurs poèmes contestataires, des jeunes auteurs dalits ont fait émerger une critique de la société de castes indiennes et, dans les années 1970, donné naissance aux Dalit Panthers.
– Bollywood : de la couleur au cinéma – Anthropologue, fan de cinéma populaire hindi et autrice du livre Blanc Bollywood – invention d'une peau cinématographique, Hélène Kessous questionne la couleur (politique) des blockbusters de Bombay.
– « Nous avons trouvé dans le théâtre un remède puissant » – Partie rencontrer des femmes victimes de violences pour tourner un documentaire, Angarika G. a bifurqué et décidé de monter une troupe de théâtre avec elles. Récit d'une expérience transformatrice qui les mène aux quatre coins du pays.
– @|LIEN12c81c0|W0x1dHRlcyBMR0JUKyA6IEPigJllc3Qgc3VyIGxlwqB0ZXJyYWluIHF1ZSDDp2Egc2XCoHBhc3NlfS0+NDE3M10=|@ – Universitaire, journaliste et activiste gay, Ashley Tellis raconte comment la libération sexuelle n'a pas encore eu lieu en Inde. Critique des ONG luttant pour les droits des LGBT+, qu'il considère animées par la bourgeoisie, il défend un militantisme radical de terrain auprès des plus marginalisé·es.
Côté chroniques & culture
– Aïe tech # 17 : Ouvrez, ouvrez la cage aux smartphones – Mois après mois, Aïe Tech défonce la technologie et ses vains mirages. Dix-septième épisode dédié à l'acceptabilité sociale des technologies et à mes propres arrangements coupables avec l'empire des écrans.
– Dans mon salon : @|LIEN12c81c0|W09kZSBhdXggZm91cm1pcy0+NDE3OV0=|@ – Trottiner d'un stand à l'autre, se glisser parmi les exposants, observer et prendre note. Dans cette édition spéciale au Salon de l'agriculture, on cherche nos racines dans le monde paysan.
– Lu dans Medfeminiswiya : Tunisie : La fragilité toujours renouvelée des ouvrières agricoles – Deux ans après un reportage consacré en janvier 2022 à la précarité des travailleuses agricoles tunisiennes, le journal féministe en ligne Medfeminiswiyadénonce cette fois-ci les risques qu'implique leur mode de transport pour se rendre au travail. Extraits.
– La lutte des classes sous les bruits de klaxons – Dans son dernier album Dire je t'aime le rappeur BEN plg raconte les galères du quotidien, mais décrit surtout un univers où la joie, l'entraide et l'amour des siens dominent.
– Matrimoine : mettre à l'honneur les oubliées de l'histoire – Matrimoine sur un plateau est le fruit d'ateliers organisés sur le plateau de Millevaches par Lou Nicollet et Ninon Bonzom. Les participantes et participants étaient invités à parler d'une ancêtre de leur choix, avant de réaliser une linogravure évoquant un souvenir fort. Une manière de faire revivre ce que les autrices désignent comme les « oubliées de l'histoire ».
– @|LIEN12c81c0|W0tva28gbGEgY29jby0+NDE4MV0=|@ – À la Fabrique, Olga Bronnikova et Matthieu Renault publient un livre à propos d'Alexandra Kollontaï. Personnage de la révolution russe et féministe d'avant garde, elle était à l'image de son époque : inspirante et terrifiante.
– À la rencontre de Fifine la renarde – Dans son ouvrage Le roman de Renarde – Fifine au pays des hommes, le photographe animalier Bruno-Gilles Liebgott raconte son incroyable amitié avec une renarde des forêts lorraines. Et questionne nos rapports à l'autre et au vivant.
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Et aussi...
– L'édito – « Chômeurs pilleurs »
– Ça brûle ! – « Autant en emporte le temps »
– L'animal du mois : le ragondin
– Abonnement - (par ici)
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La une en pdf
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Dans la tête d’un flic
4 avril, par Jonas Schnyder — Aurélien GodinEn février dernier, le Défenseur des droits a publié un rapport passé inaperçu qui dresse le « portrait » actuel des forces de l'ordre en France. Entre l'idée que la force peut primer sur le droit et la méfiance envers la population, ses conclusions sont bien inquiétantes.
Passée relativement inaperçue, la synthèse publiée par le Défenseur des droits en février dernier sur les forces de l'ordre en France a pourtant de quoi nous inquiéter. Intitulée « Déontologie et relations police-population : Les attitudes des gendarmes et des policiers1 », elle est issue d'une enquête sociologique menée par le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP). Le questionnaire soumis aux corps en uniforme cherche à faire le point sur la manière dont les forces de l'ordre françaises (police et gendarmerie) se perçoivent elles-mêmes, et dans leurs rapports aux institutions de l'État et à la population civile2. Alors qu'elles s'estiment imparfaitement formées – particulièrement sur le droit des mineurs, des réfugiés et des étrangers, et les techniques de désescalade – les forces de l'ordre voient dans la répression leur mission première, tout en se méfiant de la population : « Seuls 23,8 % des policiers et 34,3 % des gendarmes sont d'accord avec l'affirmation selon laquelle “on peut globalement faire confiance aux citoyens pour se comporter comme il faut” ». Pire : plus de la moitié des répondants pense qu'il y a souvent une contradiction entre la recherche d'efficacité et le respect du règlement, et que la « mission » est prioritaire. On fait le point avec Fabrice Barnathan, chroniqueur au Média et auteur d'une vidéo sur le sujet3. Entretien.
Ce rapport avance que la population a plutôt confiance dans la police, mais que ce n'est pas vraiment réciproque.
« C'est quand même très étonnant. Dans les enquêtes d'opinion classique type CEVIPOF4, on a autour de 70 % de la population qui déclare avoir confiance dans la gendarmerie et la police. Et quand on pose la question aux policiers, c'est le rapport inverse. Une des réponses – à moitié ironique mais sociologiquement renseignée – pour expliquer ce haut degré de confiance, c'est que la plupart des personnes qui ont répondu au sondage n'ont littéralement pas affaire à la police. Alors que de leur côté, les policiers – en particulier avec la suppression de la police de proximité et de l'îlotage – n'ont de rapports avec la population sur la voie publique que quand il y a un problème. De là peut découler l'idée que toute personne qui sort de chez soi est potentiellement fauteuse de troubles, une forme de méfiance ou de suspicion générale. »
D'où le réflexe de repli sur soi et l'idée de « citadelle assiégée » ?
« C'est un phénomène assez connu dans les recherches sur les forces de l'ordre5. Les discours publics des syndicats policiers traduisent souvent la surestimation de la détestation dont ils feraient l'objet dans la société – alors que les études montrent le contraire.
« Les discours publics des syndicats policiers traduisent souvent la surestimation de la détestation dont ils feraient l'objet dans la société »La notion de citadelle assiégée incarne ce sentiment d'être en guerre contre la population, en particulier pour les agents qui sont dans le maintien de l'ordre ou les brigades de type BAC, qui interviennent dans des milieux qui leur sont hostiles après des décennies de rapports problématiques à l'État et à la police. D'ailleurs, c'est ces filières-là qui sont souvent très demandées en sortie d'école de police parce qu'elles correspondraient à “l'essence” du métier : arrêter les voyous, faire de la répression de la délinquance, du maintien de l'ordre, mettre des coups de matraque… et non pas aider les gens en difficulté ou protéger les victimes. L'étude montre qu'ils ont une conception principalement répressive de leur travail. Et à la question de dépasser le strict respect de la loi et de la déontologie pour mener à bien cette mission, beaucoup – en particulier dans la police – répondent “oui”. »
Face à ce rapport ambigu à la justice, tu parles du syndrome de l'inspecteur Harry.
« Beaucoup d'études sur les écoles de police mettent en avant le poids de l'imaginaire des séries télé et des films à la Dirty Harry6. Des agents tournés vers la force, qui outrepassent la hiérarchie, emmerdés par l'administratif, et qui ne peuvent pas réussir leur mission sans mettre de côté la loi et la déontologie. Alors qu'être policier, c'est en réalité beaucoup attendre, circuler et remplir de la paperasse. Il y a un double mouvement : l'institution policière capte des personnalités qui sont un peu plus spontanément autoritaires que la moyenne [L'étude parle aussi d'une “minorité d'agents fermés et autoritaires, enclins à considérer que l'écoute est une perte de temps, que les gens qui enfreignent la loi ne méritent pas d'être traités avec respect, et très rétifs à recueillir les attentes des habitants et élus”, ndlr], et l'école vient confirmer ces traits de caractère comme relevant d'une culture professionnelle qui est bonne à avoir et valorisée. »
D'ailleurs, les différences de scores sont importantes entre les policiers et les gendarmes.
« C'est l'énigme qui s'impose quand on lit le compte-rendu de l'étude. On a quasi systématiquement une bonne dizaine de points de différences dans leurs réponses. La politiste Anne Wuilleumier7explique qu'il faut notamment prendre en compte le contexte de travail : les gendarmes sont principalement en milieu rural, alors que la police opère dans les villes et dans des quartiers “sensibles”. Et le fait que, contrairement à la police, la gendarmerie s'est ouverte dans les années 1980 à des modes d'évaluation extérieure, et avait intégré à ses réflexions sur sa déontologie des travaux universitaires, notamment sociologiques. »
Un autre aspect inquiétant de cette recherche, c'est l'idée que les forces de l'ordre n'auraient pas de comptes à rendre…
« D'un côté, même s'ils donnent un peu de légitimité à l'IGPN ou l'IGGN, qui sont leurs pairs, ils ne veulent pas – ou peu – avoir de comptes à rendre aux citoyens, aux élus ou à des organes externes de déontologie. De l'autre, leur rhétorique régulière pour se justifier est au contraire très légitimiste ou légaliste : “On est la police républicaine”, “on est les instruments de la loi”, etc. Contrairement aux autres syndicats, les syndicats policiers ont des revendications qui vont bien au-delà des méthodes et conditions de travail, des salaires, et qui sont des demandes de changement de la loi. On l'a vu ces dernières années avec les questions de “légitime défense” ou encore les “refus obtempérer”. »
Cela nuance considérablement l'idée d'une police qui serait simplement aux ordres du pouvoir politique ou des classes dominantes ?
« Cette réflexion est souvent uniquement basée sur la répression des mouvements sociaux et les violences policières dans le maintien de l'ordre, directement piloté par les préfectures.
« Cette autonomie permet un niveau de violence que les politiques ne peuvent pas admettre en tant que tel »Pourtant, plutôt que le bras armé de la classe dominante, c'est un corps de métier possédant une autonomie interne avec laquelle le pouvoir politique doit composer et jouer. Cette autonomie permet un niveau de violence que les politiques ne peuvent pas admettre en tant que tel, et dont ils nient ensuite être à l'origine. C'est la théorie du “chèque en gris” dont parle Jean-Paul Brodeur ou Didier Fassin : les objectifs et moyens d'action fournis à la police seraient assez imprécis pour que l'autorité puisse après-coup nier les avoir approuvés, mais suffisamment lisibles pour que la police puisse affirmer que la marge de manœuvre lui avait été implicitement concédée. Autrement dit, les deux parties se protègent. Compte tenu de tous ces éléments-là, comment peut-on imaginer un gouvernement “de gauche” qui réforme la police ? »
Propos recueillis par Jonas Schnyder
1 La synthèse est disponible en ligne : defenseurdesdroits.fr. L'étude complète n'est pas disponible.
2 L'étude, menée entre 2022 et 2023, se base sur un questionnaire adressé à plus de 1600 policiers et gendarmes, une enquête qualitative par immersion et des entretiens.
3 Voir la vidéo « Dans la tête d'un flic : les résultats inquiétants d'un sondage », publiée sur la chaîne youtube du Média (02/03/2024).
4 Pour Centre de recherches politiques de Sciences Po, qui publie un baromètre annuel.
5 Lire notamment La Force de l'ordre, de Didier Fassin (Seuil, 2011) et les passionnants travaux de l'économiste Paul Rocher et du sociologue Fabien Jobard.
6 Dans ce film sorti en 1971, l'inspecteur Harry (Clint Eastwood) est confronté à un dilemme : une jeune fille a été enlevée, et il a le choix de torturer le suspect pour tenter de la sauver ou respecter la loi, et « perdre ».
7 Lire l'entretien sur le site La vie des idées :[[ « Que peut-on attendre de la police », 19/03/2021.
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La juge et la prison
22 mars, par La Sellette — BertoyasEn comparution immédiate, on traite à la chaîne la petite délinquance urbaine, on entend souvent les mots « vol » et « stupéfiants », on ne parle pas toujours français et on finit la plupart du temps en prison. Une justice expéditive dont cette chronique livre un instantané.
Toulouse, chambre des comparutions immédiates, février 2024Arrêté à la gare deux jours plus tôt avec 30 g de résine de cannabis et 10 g de cocaïne, Thomas L., 22 ans, comparait pour détention de stupéfiants.
Face aux allusions de la présidente, il maintient qu'il s'agissait uniquement de sa consommation personnelle.
– Et pourquoi avez-vous refusé de fournir votre code de téléphone ?
– Quand les policiers m'ont demandé, je n'avais pas vu mon avocate. Je n'ai pas pu parler avec elle avant.
Cette méfiance agace la présidente : « Les policiers voulaient seulement savoir si vous faites ça souvent. Ils ne sont évidemment pas intéressés par vos données personnelles. » Elle lit ensuite rapidement les informations de personnalité : « Vous vivez chez votre mère à Toulouse. Vous êtes né au Mali et vous avez été adopté à l'âge de 2 ans. Vous êtes passé par des questionnements identitaires pendant votre enfance. Vous avez été placé en foyer à 14 ans. Les faits de délinquance ont commencé à ce moment-là. Votre compagne est enceinte de 5 mois et habite chez sa mère. Comment expliquez-vous que vous n'avez pas encore entamé une qualification à votre âge ? »
Le garçon hésite et répond à voix basse qu'il était en prison : « Ce n'est pas une raison, lance la présidente avec aplomb. On n'en parle pas souvent ici, mais en détention aussi on peut passer des diplômes et préparer sa sortie. »
Un peu déstabilisé, le prévenu précise qu'il a trouvé une formation de mécanicien et qu'il doit passer un entretien d'embauche.
La présidente ricane : « Comme je le dis souvent, le procès est un formidable accélérateur de carrière ! Hier pas d'emploi, mais tout d'un coup du travail autant qu'on veut ! »
Dans ses réquisitions, le procureur accuse Thomas L. d'être un dealer, même s'il ne comparait pas pour ça : « Le casier judiciaire est fourni : neuf mentions, dont deux condamnations pour stupéfiant, ce qui montre un ancrage ancien dans la délinquance. Et – oh surprise ! – il avait déjà refusé de donner son code de téléphone en 2021. Monsieur connaît la chanson, comme toute personne qui est dans le milieu. »
Il demande 12 mois de prison et le maintien en détention.
L'avocate, quant à elle, récuse tout trafic : « Mais il est vrai qu'il consomme énormément. C'est un enfant adopté, ses parents ont divorcé à son adolescence et c'est à ce moment-là que tout a dérapé. »
Elle voudrait que la peine soit aménagée pour qu'il puisse suivre sa formation : « Avec sa maman, c'est compliqué, mais la mère de sa petite amie accepte qu'il soit placé sous bracelet électronique chez elle. »
Peu importe, Thomas L. est condamné à 10 mois de prison et maintenu en détention. Tout à son idée que la prison peut être un lieu de soin et de formation, la présidente en profite pour donner quelques conseils d'un air aimable : « Il y a à l'évidence des problèmes d'addictions non résolus. Je vous engage à mettre à profit cette période de détention pour les résoudre. Et pour vous orienter vers l'exercice d'une profession autorisée. »
La compagne de Thomas L., assise au premier rang pendant l'audience, quitte la salle en pleurs.
Par La SelletteRetrouvez d'autres chroniques sur le site : lasellette.org.
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« Debout les zombies de la Sociale ! »
22 mars, par Mathieu LéonardAvec Nous reviendrons ! Une histoire des spectres révolutionnaires, Éric Fournier questionne la place des fantômes dans les imaginaires révolutionnaires du xixe siècle.
Quand les morts rappliquent, c'est toujours pour demander des comptes aux vivants. Il n'y a qu'à voir les films de zombies – notamment ceux de George Romero – métaphores de la concurrence effrénée et du darwinisme social de notre civilisation capitaliste. Dans le champ militant, l'usage des spectres, fantômes, goules et morts-vivants est un peu différent : on les sort du chapeau pour maintenir la continuité des luttes et réactiver la nécessité de la revanche sociale.
« Les fusillés, les affamés / Viennent vers nous du fond du passé / Rien n'a changé mais tout commence / Et va mûrir dans la violence », chantait Jacques Marchais peu après Mai 68 dans « La Vie s'écoule », écrit par Raoul Vaneigem. Cette incantation des damnés sur le retour nous amène directement au sujet du livre de l'historien Éric Fournier, Nous reviendrons ! – Une histoire des spectres révolutionnaires. France – xixe siècle (Champ Vallon, 2023). Historien de la Commune et des courants révolutionnaires, bien connu de CQFD, Éric Fournier s'est transformé en chasseur de fantômes, porté par un style lumineux, pour traverser cette histoire d'un « romantisme à contre-temps » dans l'imaginaire révolutionnaire du xixe siècle. Et de poser cette question fondamentale : les fantômes sont-ils des camarades ?
Par quels cheminements es-tu venu à t'intéresser à cette dimension gothique de l'histoire révolutionnaire du xixe siècle ?
« En suivant les chemins du Mur des Fédérés, j'ai pu constater le déploiement d'un imaginaire gothique, ou gore, pour employer les mots de notre temps associé à des choses on ne peut plus sérieuses : exiger la justice pour les camarades tombés lors de la Semaine sanglante ou porter les nouvelles aurores révolutionnaires. La mémoire vive de la Commune associe l'effroi et l'horreur du massacre avec l'enthousiasme des promesses révolutionnaires à accomplir. J'ai aussi vu nettement cette aurore spectrale à travers l'œuvre et la vie de Louise Michel qui se définit comme “le spectre de mai”. En définitive, suivre leurs traces qui, au-delà du deuil, déclenchent l'enthousiasme m'a permis de mieux comprendre pourquoi, malgré les massacres, les révolutionnaires du xixe siècle restent aussi “déters”. »
Tu montres que l'imaginaire irrationnel de ces « fantasmagories macabres » est protéiforme. On retrouve le « spectre qui hante l'Europe » de Marx, mais aussi « les démons qui attaquent et les spectres qui résistent », des insurgés qui meurent « contents, le drapeau rouge au poing », dans un saisissant poème de Verlaine, ledamnatio memoriae des communards ou encore le culte des morts qui s'enracine à l'autre bout du « spectre » politique chez le nationaliste Maurice Barrès. Quels en sont les usages les plus marquants ?
« Les figures principales sont l'agonisant indomptable, comme le fusillé au regard fier, ou ceux qui vont mourir sur les barricades, tel Charles Jeanne en 1832, resté célèbre pour le panache de sa tirade : “Du pain ? À quoi bon ! À cinq heures nous serons tous morts” ; mais aussi, plus inattendue à nos yeux, le “spectre-idée”, l'idée politique hantant l'histoire jusqu'à son retour et son avènement triomphal, la République sociale ou la Commune par exemple : “Elle n'est pas morte !” peut-on lire sous les plumes révolutionnaires au long du xixe siècle, surtout après les massacres de juin 1848 ou mai 1871. À la fin du xixe siècle, les spectres symbolisent aussi un prolétariat si souffrant qu'il en est décharné, mais intraitable et combatif : “Debout les damnés de la terre”, chante L'Internationale ! Cependant, le premier spectre de l'imaginaire révolutionnaire est un spectre repoussoir : le “spectre rouge”, un épouvantail brandi par l'ordre, que les révolutionnaires vont lui arracher. Incontestablement, invoquer des fantômes mobilisateurs, dans lesquels on peut se reconnaître, est le propre de la constellation révolutionnaire. Ainsi, malgré des similitudes formelles apparemment troublantes, La Terre et les morts de l'ultranationaliste Barrès – une formule signifiant la soumission à une nation ou une race immémoriale – n'a rien à voir avec les revenants révolutionnaires, crevant la terre où ils ont été injustement massacrés pour ouvrir des brèches et porter des horizons émancipateurs. »
Ces appels aux morts sont-ils si mobilisateurs que cela ?
« Là où l'imaginaire des spectres révolutionnaires s'est sans doute révélé déterminant, c'est pour la mise en place de la mémoire de la Commune, immédiatement après la Semaine sanglante, dont les scènes d'horreur dantesque ont tétanisé les survivants. La mémoire vive de la Commune n'aurait sans doute pas pu traverser le temps sans les spectres révolutionnaires. C'est par le truchement de cette figure que s'associent avec force des images a priori contraires : l'espoir de mars [l'insurrection est déclenchée le 18 mars 1871 et la Commune est proclamée le 28 mars] et les charniers de mai ; l'enthousiasme et l'horreur.
Ces spectres révolutionnaires, ceux invoqués au Mur des Fédérés notamment, sont moins présents à la fin du xixe siècle mais révèlent leur capacité à s'actualiser, en fonction des bouleversements politiques. En 1921, pour le cinquantième anniversaire de la Commune, les colonnes de L'Humanité, devenue communiste, s'ouvrent à des spectres plus gothiques que jamais, sortant une dernière fois du Mur des Fédérés, mais dans une atmosphère évoquant désormais les horreurs des tranchées de la guerre de 1914-1918. Ce faisant, L'Humanité essaye de relier les combats du présent à une mémoire des luttes dont elle craint la disparition, engloutie par les morts de la guerre et les injonctions de l'Union sacrée.
Mais les militants communistes qui, très exceptionnellement, invoquent les fantômes du Mur ont tous commencé à militer avant la Grande Guerre et sont familiers de cet imaginaire mobilisateur. Peu à peu ils disparaissent, au moment du Front populaire, accompagnant un changement de génération militante. »
En lisant ton livre, je me suis interrogé sur la dimension religieuse et eschatologique de ces mythes spectraux.
« À l'exception d'Alphonse-Louis Constant, républicain social mystique, qui fait surgir de terre le fantôme de Thomas Müntzer en 1847, cette dimension est absente. Ces spectres mettent en images un rapport moderne au temps, né avec les Lumières, porté par des idées transcendantes destinées à s'incarner pour signifier la fin de l'histoire : la République sociale d'abord, la révolution sociale ensuite. Ce rapport au temps procède plus de l'idéalisme hégélien et/ou du matérialisme marxiste, deux philosophies façonnant un temps porté par un progrès inéluctable. Ce sont des spectres modernes ! »
À propos de la part occulte de la vocation d'historien : ne consiste-t-elle pas au fond aussi à faire revivre les morts ?
« C'est en tout cas la mission que l'historien du xixe siècle Jules Michelet s'assigne, s'imaginant assailli par les morts au milieu des cartons d'archives. “Doucement, messieurs les morts, procédons par ordre, s'il vous plaît. Tous, vous avez droit sur l'histoire”, écrit-il, décelant sa mission d'historien : leur donner toute leur place dans l'histoire de France, faute de quoi, dit-il, ils “erreront autour de leur tombe mal fermée”. Rendre justice aux morts en portant leur parole devient pour lui une mission presque sacrée, mais, même si j'ai un faible pour cette démarche, ça me semble quand même un chouïa anachronique et romantiquement désuet de se prendre pour un Michelet. Je préfère suivre les pas de Marc Bloch qui estimait que l'Histoire qui répond aux questions de son temps, est une science de la vie. Aux historiennes et historiens d'inverser la relation usuelle aux fantômes : à nous de leur poser des questions et de les bousculer ! »
Propos recueillis par Mathieu Léonard -
Grenoble : Quand la Tech accapare l’eau
22 mars, par Lu & Vio — Alice DurotEn septembre dernier, la méga-usine STMicroelectronics fêtait 50 ans de production de puces électroniques à Grenoble. L'occasion pour le collectif STopMicro de rappeler en quoi ces technologies servent un monde mortifère.
En cette fin septembre 2023, un grand charivari a lieu devant le palais des congrès de Grenoble. À l'appel du collectif STopMicro, quelques centaines de citoyen·nes se sont rassemblé·es et frappent des casseroles et des bouteilles d'eau vides sur le sol et sur les grilles du palais, en scandant « De l'eau, pas des puces ! ». Les ingénieur·es et politiques, gêné·es par la foule et par le bruit incessant, se frayent un chemin pour rentrer là où a lieu la vraie fête, les 50 ans d'existence de l'usine STMicroelectronics1 (ST). Le bébé du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) est une fierté nationale : c'est grâce à elle et à sa voisine Soitec que la production de puces électroniques françaises est assurée, grâce à elles que le Grésivaudan est devenu la « Silicon Valley française ». Et depuis l'annonce de l'agrandissement de l'usine de Crolles en juillet 2022, le collectif STopMicro tente de jouer les trouble-fête, dénonçant les coûts de ce projet pharaonique et questionnant l'utilité d'une telle production.
Vous reprendrez bien un peu d'ammoniac ?« On devrait aller vers moins, mais on est en train de toujours aller vers le plus : plus de consommation d'eau, plus de consommation d'électricité, plus de non-sens éthique, technologique et écologique », s'indigne un militant présent à l'évènement. La plus ancienne usine de la multinationale, basée à Crolles, à quelques kilomètres de Grenoble, est aujourd'hui en passe de s'agrandir. Depuis l'inauguration du projet par Emmanuel Macron en juillet 2022, STopMicro alerte sur ses dégâts écologiques, à commencer par la consommation électrique de l'usine, aujourd'hui équivalente à celle d'une ville de 230 000 personnes… un chiffre destiné à augmenter dans les prochaines années. La consommation d'eau ensuite : 13 500 mètres cubes d'eau potable par jour, soit 156 litres par seconde… Autant que la ville de Grenoble, ses 160 000 habitant·es, ses écoles, ses piscines, ses activités municipales et commerciales. Après l'agrandissement, c'est 33 500 mètres cubes d'eau qui seront consommés par jour, essentiellement de l'eau potable. Mais pourquoi l'utilisation d'eau potable ? La fameuse « or bleu » des Alpes a fait du Grésivaudan une terre d'élection pour la microélectronique : l'eau doit nécessairement être pure pour le rinçage des plaquettes de silicium sur lesquelles sont gravées les puces. Une eau qui, à leur contact, se charge de métaux et de produits chimiques divers et variés : azote, ammoniac, chlore, hexafluorure, cuivre, phosphore… avant d'être rejetée dans l'Isère. De quoi provoquer le mécontentement des poissons de l'Isère, en l'honneur desquels les militant·es de STopMicro ont organisé le contre-anniversaire de ST – classée site Seveso seuil haut2 notamment en raison de ses 20 000 tonnes de produits chimiques utilisés par an.
Une aberration soutenue par l'ÉtatPendant que la foule entonne un « mauvais anniversaire » à la multinationale, une personne portant un grand masque de poisson monte les quelques marches du palais et souffle les bougies. Parmi les personnes qui applaudissent, on trouve des agriculteurs et agricultrices de la vallée du Grésivaudan, mécontent·es.
À l'heure où les sécheresses se multiplient, le collectif affirme que des choix sont à faire pour déterminer à qui l'eau va en prioritéLorsqu'en 2022 le département de l'Isère était placé par la préfecture en alerte sécheresse de niveau 3 sur 4, ST ne subissait aucune restriction d'accès à l'eau. Elles et eux étaient sommé·es de réduire drastiquement leur consommation d'eau. « Ce projet, c'est une aberration, un contresens historique ! » insiste Romain, membre de STopMicro. À l'heure où les sécheresses se multiplient, le collectif affirme que des choix sont à faire pour déterminer à qui l'eau va en priorité. Et face à ce dilemme entre microélectronique et agriculture, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a choisi son camp : « [Ce projet] est le plus grand investissement industriel des dernières décennies hors nucléaire et un grand pas pour notre souveraineté industrielle. » Un soutien de l'État qui se chiffre à 2,9 milliards d'euros d'argent public au nom d'une « souveraineté » technologique peu convaincante, comme le rappelle STopMicro : si les puces sont fabriquées à domicile, leur production nécessite l'approvisionnement en matières premières indisponibles sur le sol français, mais aussi des processus d'affinage opérés en Chine et au Japon, de sorte qu'une autonomie de production serait impossible. Pour le collectif, à l'heure où « la demande globale de semi-conducteurs augmente de 15 % par an3 », c'est dans la diminution de production de puces et non dans sa relocalisation que se joue l'enjeu politique décisif de ce projet.
Le monde durable selon STMicroelectronicsAutre enjeu de la mobilisation de septembre : dénoncer le greenwashing de ST. « Nous créons des technologies pour un monde durable, nous donnons la priorité à l'humain et à la planète […] Ensemble, accélérons le développement durable », déclarait Jean-Marc Chéry, directeur de ST, dans leur Déclaration environnementale 2021. Mais le monde durable défendu par la multinationale est bien particulier. Selon un salarié de l'entreprise, 40 % des puces servent à l'automobile, 30 % à la reconnaissance faciale et 30 % aux objets connectés dont on peine à voir en quoi ils participent à la durabilité du monde : collier pour animaux géolocalisés, stylo digital, tondeuse à gazon automatique… sans oublier la fameuse bouteille d'eau connectée water.io qui vibre pour rappeler au consommateur de boire. On ne s'attardera pas sur l'ironie : assécher une région pour produire des bouteilles d'eau, il fallait oser. À cela s'ajoutent les puces pour les stations terrestres des satellites Starlink d'Elon Musk, ou pour les consoles de jeu Switch4. Un autre débouché moins vanté par ces entreprises est l'industrie de l'armement. Selon une enquête de Blast publiée en octobre 2023, des puces de ST ont été retrouvées dans toute une série de drones de l'armée russe, dont certains drones kamikazes utilisés sur des cibles en Ukraine5. « Contourner l'embargo pour alimenter l'armée russe, tel est le “monde humain” dépeint et promu par ST et ceux qui en permettent l'agrandissement », affirme le collectif.
« La microélectronique contribue à la catalyse de la destruction planétaire et pas à son émancipation »« On est en train de fêter un mauvais anniversaire, parce que l'on considère qu'en 50 ans d'existence, ST aurait dû se rendre compte que la microélectronique contribue à la catalyse de la destruction planétaire et pas à son émancipation », témoigne Romain. La mobilisation a malgré tout été joyeuse, et a permis de chahuter les cadres de l'entreprise. STopMicro, dont les actions et revendications trouvent de plus en plus d'écho, ne compte pas s'en tenir là : après une première manifestation en avril 2023 qui avait réuni un millier de personnes, le collectif organise un week-end de mobilisation contre ST et Soitec du 5 au 7 avril prochain. Au programme : des conférences, une manifestation dans Grenoble, des repas partagés, et un après-midi de rassemblement à Crolles devant l'usine6. Une mobilisation qui se veut massive, festive et colorée de bleu, avec comme mot de rassemblement : « No puçaran ! »
Par Lu & Vio