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« Parler de fascisme, c’est être à la hauteur de la gravité de la situation »
4 avril, par Camille Auvray — ÉliasAutrice d'un ouvrage sur la guérilla armée en Inde, l'anthropologue indo-britannique Alpa Shah vient de publier une enquête sur la répression du mouvement social indien. À la veille d'un 3e mandat présidentiel pour Modi, c'est l'occasion de discuter avec elle du basculement de la « plus grande démocratie du monde » vers le fascisme.
« La subversion n'est pas seulement essentielle à la démocratie ; elle est fondatrice de notre humanité. Dans un contexte où les élites indiennes et mondiales s'emploient de plus en plus à brouiller la distinction entre justice sociale et terrorisme, la solidarité internationale sera décisive. » Ainsi se terminait la préface d'Alpa Shah à la version française de son ouvrage Le Livre de la jungle insurgée – Plongée dans la guérilla naxalite en Inde, publié en 2022 aux Éditions de la dernière lettre. Deux ans plus tard, cet appel à la vigilance résonne d'autant plus fort que la répression politique du régime du suprémaciste hindou Narendra Modi met toujours plus de monde sous les verrous. Ce que l'autrice dénonce dans sa dernière publication sur l'affaire « Bhima-Koregaon » [voir encadré], prenant la défense des 16 figures du mouvement social indien qui croupissent en prison depuis des années, inculpées sur de fausses pièces à conviction1. À travers leurs histoires, elle raconte le naufrage de la démocratie, la compromission des médias et l'impossible justice. C'est avec tout cela en tête qu'Alpa Shah nous propose de caractériser le fascisme indien, sa masculinité islamophobe et ses relents génocidaires2. Entretien.
Mi-avril, l'Inde entière se rendra aux urnes pour des élections générales promises à Narendra Modi, déjà au pouvoir depuis 10 ans (2014‑2024). Que ressens-tu dans ce contexte ?
« Ce qui se passe aujourd'hui, c'est une vision excluante de l'idée de nation qui se cimente pour les décennies à venir »« Je ressens une grande tristesse car, en tant que chercheuse, en tant qu'Indienne de la diaspora, je connais la diversité de ce pays. Et ce qui se passe aujourd'hui, c'est une vision excluante de l'idée de nation qui se cimente pour les décennies à venir. Elle exclut en particulier les 200 millions de musulmans indiens et déploie aussi une idée particulière du citoyen, du maintien de l'ordre, de la morale publique, que je trouve très destructrice. On ne peut pas attendre grand-chose de l'opposition parlementaire, extrêmement faible et divisée. D'autant que les institutions et les médias sont aujourd'hui contrôlés par le BJP*, le parti suprémaciste au pouvoir. Mon seul espoir, pour limiter les dégâts, c'est que Modi n'obtienne pas le type de majorité dont il a besoin pour changer la Constitution. »
À quel État comparerais-tu le régime indien actuel ?
« L'ethnonationalisme religieux à l'œuvre en Inde est une particularité qui lui est propre. Mais en termes d'autoritarisme, on pense à la Russie, à la Turquie, et, d'une certaine manière, aux États-Unis de Trump. Je pense qu'on peut aussi comparer à la Chine, même si certains États préfèrent le nier pour poursuivre leurs accords commerciaux. Alors que si nous examinons le bilan en matière de répression des militants des droits humains, la persécution des minorités, la capture des institutions de l'État et des médias, il y a beaucoup de parallèles. »
Il paraît que le parti de Modi est le plus riche du monde…
« En 2017, Modi a inventé les “obligations électorales” (electoral bonds), un système permettant à des donateurs de financer les partis politiques de manière anonyme et illimitée. Cela a permis au BJP de recevoir d'énormes sommes d'argent de la part du monde industriel – près de 90 % des dons – qui ne sont pas sans contreparties. Le milliardaire Gautam Adani a ainsi obtenu les faveurs de Modi et un accès privilégié aux ressources, aux terres, aux ports, aux aéroports. Et personne ne sait combien il a donné au BJP, sauf le parti au pouvoir qui peut surveiller les personnes qui donnent ou pas. Les sommes reçues sont stupéfiantes et certains disent en effet que le BJP est devenu l'un des partis les plus riches du monde. En février 2024, la Cour suprême indienne a annulé ce schéma de financement, le jugeant anticonstitutionnel. Mais c'est sans doute trop tard vu la position que le parti a réussi à sécuriser. En aucun cas il n'est question de geler les comptes de campagne. On s'attend à voir, comme à la dernière élection en 2019, des dépenses indécentes pour faire gagner Modi : son hologramme partout, et des photomatons à chaque coin de rues permettant à n'importe quel citoyen de prendre des selfies à ses côtés – un dispositif apparemment financé par le ministère de la Défense. »
Au-delà du BJP, Modi s'appuie également sur le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS). Qu'est-ce que c'est ?
« Pour “association des volontaires nationaux”, dont les membres sont appelés les sanghis. C'est une organisation intrinsèquement liée au BJP qui a été créé en 1925 par des brahmanes, au plus haut de l'échelle des castes. L'objectif était de former une branche armée de l'hindouisme pour se défendre contre les colons et les musulmans. Golwalkar, à la tête du RSS durant 33 ans, et l'un de ses idéologues les plus influents, admirait Hitler et l'extermination des juifs. L'assassin de Gandhi était membre de l'organisation. Interdit sous les Britanniques puis à trois reprises dans l'Inde indépendante, le RSS a continué à s'étendre. Au-delà de ses milices qui sèment la terreur parmi ses opposants, il a développé son action dans toutes les sphères de la société grâce à son syndicat étudiant, son syndicat ouvrier, sa branche féminine, son organisation religieuse, son organisation caritative et d'autres encore. »
Le RSS est-il également présent parmi l'importante diaspora indienne de par le monde ?
« Le RSS a créé ses premières branches internationales dès 1947, en Afrique, au Kenya où je suis née. Il a établi ses propres écoles, les shakas. Il y en avait une dans le quartier où j'ai grandi à Nairobi. Je pouvais la voir depuis la fenêtre de chez ma tante. Je voulais y aller, je les voyais jouer dans la cour ! Je ne savais pas que cet endroit était réservé uniquement aux garçons. Je ne savais pas non plus, et je pense que la plupart des personnes qui y allaient ne le savaient pas, que ces écoles promouvaient également une vision excluante de l'Inde. J'entends dans la diaspora britannique que Modi est la meilleure chose qui ait pu arriver à l'Inde : il lui a permis d'être un acteur majeur sur la scène internationale, bientôt elle sera la troisième économie mondiale et on a même été sur la Lune, rendez-vous compte ! Tout est possible ! »
En dix ans de pouvoir suprémaciste, qu'est-ce qui t'a particulièrement marquée ?
« L'augmentation de la répression contre la dissidence, surtout après 2019, avec des lois antiterroristes systématiquement utilisées contre les défenseurs des droits humains. Les attaques sur les ONG, accusées d'exporter à l'international une vision trop négative de l'Inde. À partir de 2016, les autorités ont suspendu ou refusé de renouveler la licence FCRA [Foreign Contribution Regulation Act] – qui permet de recevoir des dons de l'étranger – de centaines de groupes de la société civile, ou les ont accusés de se soustraire à la loi et ont gelé leurs comptes en banque. C'est ce qui est arrivé à Amnesty International, obligée à licencier du personnel, suspendre ses campagnes et interrompre son travail en Inde. À cela s'ajoute aussi la mise sous silence des médias, avec une liberté de la presse considérablement réduite.
« Ce qui m'a le plus marquée, ce sont ces hommes qui peuvent désormais descendre dans la rue, se regrouper en milices et mener des lynchages publics, voire des émeutes, en toute impunité »Ce qui m'a le plus marquée, ce sont ces hommes qui peuvent désormais descendre dans la rue, se regrouper en milices et mener des lynchages publics, voire des émeutes, en toute impunité. C'est très effrayant. J'ai vu des hommes fiers d'avoir lynché à mort des dalits* parce qu'ils étaient “coupables” d'avoir abattu une vache. Il a été démontré ensuite que les victimes n'avaient fait qu'exercer leur métier d'équarrisseurs ! La police ne poursuit pas les agresseurs ou les met en prison quelques jours, puis les relâche, pendant que certains des militants des droits humains les plus remarquables sont emprisonnés depuis plusieurs années. Et pendant ce temps-là, Modi se targue d'organiser les plus grandes élections du monde, mais ce rituel électoral ne peut plus cacher la montée du fascisme. »
Tu qualifierais donc l'État indien de fasciste ?
« Oui, je pense qu'il est temps d'utiliser ce mot. La manière dont le régime inculque aujourd'hui aux masses une vision excluante de l'Inde, dont il les prépare à s'armer et à se battre contre leurs concitoyens musulmans, la collaboration étroite entre l'État et le capital, la dissidence étouffée, la peur distillée au sein de la société civile, la propagande autour de la figure de Modi ; tout cela présente des similitudes avec des formes antérieures de fascisme ailleurs dans le monde. Parler de fascisme, c'est être à la hauteur de la gravité de la situation en Inde. C'est aussi tenter de rendre inconfortable le déni d'un Occident – et des grandes puissances comme la France – surtout soucieux de conclure des accords d'armement. »
Avant Modi, la démocratie indienne était‑elle en bonne santé ?
« À l'indépendance en 1947, l'Inde devient une république “laïque, démocratique et socialiste”, des idéaux institutionnalisés dans la Constitution. Le parti du Congrès, aux commandes du pays pendant des dizaines d'années, n'est pourtant pas un saint. De 1975 à 1977, nous vivons deux années d'état d'urgence sous la dirigeante du Congrès Indira Gandhi, une horrible période de suppression des droits démocratiques. Les journalistes sont mis en prison, des programmes de stérilisation forcée sont mis en place, des démolitions de bidonvilles entiers sont orchestrées au nom du nettoyage des métropoles. On compare souvent ce qui se passe actuellement avec cette période. Mais aujourd'hui, nous ne sommes pas officiellement en état d'urgence, et le régime s'absout progressivement de toute responsabilité face aux institutions.
« Le BJP est en train d'étendre ces mécanismes de répression et de soutien au grand capital à une échelle jamais vue »Quand on connaît les forêts reculées où vivent lesadivasis*, on se dit qu'il n'y a pas de différence entre le régime de Modi et ce qui se passait sous le gouvernement du Congrès. C'est le Congrès qui a permis l'exploitation massive des ressources minières, et avec elle la destruction des moyens de subsistance des adivasis. Pour lutter contre les révoltes localisées dans ces zones, le Congrès a lancé des campagnes de contre-insurrection, des villages entiers ont été incendiés, les villageois tués ou mis en prison en vertu des lois antiterroristes. Mais aujourd'hui, le BJP est en train d'étendre ces mécanismes de répression et de soutien au grand capital à une échelle jamais vue. Ce qui est nouveau également, c'est la fabrique de l'homme macho, un personnage très patriarcal voulant “préserver et protéger” les femmes, sœurs et mères au foyer. Cette figure masculine hindoue doit protéger la nation, l'hindouisme et sa civilisation. Même les jeunes dalits et adivasis se plaisent à incarner cette nouvelle figure de l'homme indien. »
Pourquoi dis-tu, dans ton livre, que « les graines de la démocratie s'épanouissent en prison » ?
« Il y a quelques années, le régime indien a lancé une opération judiciaire spectaculaire contre des symboles de ce qui restait de mouvement social : 16 personnes venues d'univers militants très différents ont été mises en prison – et y sont toujours pour la plupart d'entre elles. D'où mon expression. Nous sommes beaucoup à nourrir en nous-mêmes des idéaux de démocratie, de justice sociale et de solidarité. De nombreuses personnes en Inde continuent de se battre publiquement malgré les coûts personnels et les intimidations qu'elles subissent. D'autres restent silencieux pour le moment, mais gardent vivantes leurs convictions et leurs conversations. »
Propos recueillis par Camille AuvrayDates-clés
2002 : Près de 2 000 mort·es parmi la communauté musulmane lors d'un lynchage collectif au Gujarat, État dont Narendra Modi est alors ministre en chef (sa responsabilité sera nettement établie plus tard).
2014 : Début du premier quinquennat de Narendra Modi comme Premier ministre de l'Inde.
2018 : Attaques de suprémacistes hindous contre le rassemblement dalit dans la ville de Bhima Koregaon. La police arrête 16 militant·es des droits humains en les accusant d'être à l'origine des violences et d'avoir organisé un complot pour tuer le Premier ministre [voir encadré].
2023 : Narendra Modi est l'invité d'honneur d'Emmanuel Macron pour le défilé du 14 juillet à Paris. Il officialise l'achat à la France de 26 avions de combat Rafale Marine et de trois sous-marins.
2024 : Élections générales du 19 avril au 1er juin. Résultats attendus le 6 juin. Narendra Modi est grand favori pour ce qui serait son troisième mandat.
The IncarcerationsLe 31 décembre 2017, 250 organisations de la gauche extra-parlementaire indienne organisent un grand meeting pour relancer la résistance au pouvoir de Modi. C'est la veille des 200 ans de la bataille de Bhima Koregaon, qui vit des dalits engagés par les forces britanniques mettre en déroute une armée constituée d'Indiens de hautes castes. Le 1er janvier 2018, la célébration de cet anniversaire par des dalits est attaquée par des groupes de suprémacistes hindous, des affrontements éclatent et font un mort. Quelques mois plus tard, une première vague d'arrestations touche plusieurs militant·es chrevonné·es, journalistes, avocat·es, musicien·nes, accusé·es non seulement de soutenir les dalits, mais aussi la guérilla maoïste. En tout, 16 personnes se retrouvent derrière les barreaux, la majorité y est toujours aujourd'hui, sans aucune date de procès. Alpa Shah s'est emparée de cette histoire pour dresser une impressionnante fresque de l'Inde sous Modi. Avec son sens du portrait déjà à l'œuvre lorsqu'elle nous présentait les guérilleros du Livre de la jungle insurgée, ce sont cette fois les « incarcéré·es » dont elle dépeint les parcours de vie grâce à des centaines d'heures d'entretiens menés avec leurs proches. On découvre Stan Swamy, le prêtre jésuite indien qui finit sa vie aux côtés des adivasi, Sudha Bhardwaj, syndicaliste et avocate, Anand Teltumde, universitaire et porte-voix des dalits. D'autres combattaient les sociétés minières ou l'islamophobie d'État. L'occasion pour l'autrice de nous raconter l'Inde révoltée des années 1970 au tournant du 2e millénaire, à travers le récit de ces enthousiasmantes grèves ouvrières, mouvements de sans-terre ou rassemblements étudiants, invisibilisés par l'histoire officielle. Alpa Shah se fait aussi journaliste d'investigation et mène l'enquête sur ce qui se révèle être une véritable machination policière contre le mouvement social. L'État accuse les incarcéré·es d'avoir fomenté un attentat contre Narendra Modi lui-même. Le livre établit comment la police est allée jusqu'à insérer dans les ordinateurs de plusieurs prévenus, à l'aide d'un logiciel, de faux documents – dont une lettre qui évoquerait ce projet d'assassinat. The Incarcerations, c'est finalement l'histoire contemporaine de la lutte pour la justice et la dignité des trois principales minorités de l'Inde – les adivasis, les dalits et les musulman·es .
Par C.A.
1 The Incarcerations – BK-16 and the Search for Democracy in India, William Collins, mars 2024.
2 « En Inde, le fascisme du roi Modi », CQFD n°222 (juillet 2023).
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Mousson brune – Fascisme et résistances en Inde
4 avril, par Camille Auvray — 20100Le 14 juillet dernier, Emmanuel Macron décerne au Premier ministre indien, Narendra Modi, la Grand-croix de la Légion d'honneur. Pour quel motif officiel ? On ne se rappelle plus trop. N'empêche que l'Inde confirmait quelques jours plus tard l'achat de 26 avions Rafale et de trois sous-marins Scorpène. Fin janvier 2024, c'est Macron qui participait au jour de la République de l'Inde. Il n'était pas là pour empêcher le départ contraint de Vanessa Dougnac, pigiste du Point et de La Croix, présente depuis 25 ans sur le territoire, mais dont le travail a été jugé « contraire aux intérêts de la souveraineté et de l'intégrité de l'Inde ». Il était là pour sceller une « alliance de défense inédite » avec un régime en train de basculer dans le fascisme.
« Parler de fascisme, c'est être à la hauteur de la gravité de la situation en Inde. C'est aussi tenter de rendre inconfortable le déni d'un Occident – et des grandes puissances comme la France – surtout soucieux de conclure des accords d'armement », nous dit l'anthropologue Alpa Shah. Selon plusieurs observatoires internationaux, l'Inde est désormais une autocratie électorale (les élections débutent le 19 avril, et, après 10 ans au pouvoir, Modi court actuellement vers son troisième mandat), classée avec la Turquie dans la catégorie des États partiellement libres. L'organisation Genocide watch estime que le pays est déjà au niveau 5 des 10 étapes qui mènent au génocide : des mosquées sont démolies par des foules de fanatiques, entre deux lynchages à mort organisés par les suprémacistes hindous contre des personnes musulmanes.
Il y a plus de 15 ans, je partais valider ma 3e année de licence en Inde. Après quelques années comme journaliste spécialiste de l'Asie du Sud, j'y suis retournée dès que possible, pour y revoir mes ami·es indien·nes ou y faire des reportages. J'ai découvert ce pays alors qu'il était gouverné par les sociaux-démocrates du parti du Congrès, qui ont libéralisé le pays et réprimé les mouvements paysans, ouvriers, de sans-terre. Ceux-là mêmes qui ont lancé les paramilitaires et les milices privées au cœur des forêts pour éliminer des villages entiers et leurs habitant·es. Mes ami·es crachaient alors sur le drapeau indien comme d'autres ici crieraient « Nique la France ! » Ils dénonçaient le mythe d'une nation unie servant surtout à masquer les inégalités sociales – et les territoires colonisés par l'Inde au départ des colons britanniques. Aujourd'hui, les fanions orange du suprémacisme hindou recouvrent les villes, provoquant presque de la nostalgie pour le drapeau tricolore de l'État. Que faire alors ? On tente là-bas de continuer à vivre – à lutter, parfois. « Azadi ! » (liberté), chuchote le gang des « tukde tukde », les « casseurs de la nation », les révolté·es de la gauche extra-parlementaire, les féministes hystériques et les dalits émeutiers, « cœur séditieux » du peuple indien, pour reprendre le titre d'un livre de l'intellectuelle engagée Arundhati Roy. C'est à travers leurs regards, leurs vécus, qu'il a été possible de composer ce dossier écrit majoritairement par des auteur·ices indien·nes. Notre idée ? Apporter un éclairage sur cette réalité souvent voilée, en France, par l'imaginaire des cours de yoga et des montagnes éternelles de l'Himalaya.
Dossier coordonné par Camille AuvraySommaire du dossier
– Paysans aux barricades – Mi-février, la marche sur la capitale organisée par des milliers d'agriculteur·ices exigeant un prix minimum légal pour leurs productions a été fortement réprimée. Sous le choc, celles et ceux qui nourrissent le pays racontent leurs espoirs et leurs colères à l'illustratrice indienne Vidyun Sabhaney, envoyée spéciale pour CQFD.
– « Parler de fascisme, c'est être à la hauteur de la gravité de la situation » – Autrice d'un ouvrage sur la guérilla armée en Inde, l'anthropologue indo-britannique Alpa Shah vient de publier une enquête sur la répression du mouvement social indien. À la veille d'un 3e mandat présidentiel pour Modi, c'est l'occasion de discuter avec elle du basculement de la « plus grande démocratie du monde » vers le fascisme.
– Discours génocidaires à l'ombre des décombres – Partout dans le pays, les lieux de vie, de travail et de culte de 200 millions de musulmans sont la cible d'attaques violentes et de destructions. Shivangi Mariam Raj, chercheuse indépendante et éditrice à la revue The Funambulist, parle d'une « architecture de la ruine » pour désigner ce projet d'édification de l'identité hindoue sur la démolition des espaces musulmans.
– « Nous devons baisser les yeux et ne pas faire de bruit » – Dans un article publié dans la revue The Funambulist en décembre 2022, Afreen Fatima nous raconte la destruction de sa maison familiale dans le quartier musulman d'Allahabad, au sud de l'État d'Uttar Pradesh. Extraits.
– « La sueur des flics et les larmes des familles » – Depuis septembre 2020, le militant athé de culture musulmane Umar Khalid est emprisonné sans procès pour s'être opposé à la nouvelle loi discriminatoire sur la citoyenneté. À son amie Apeksha Priyadarshini qui lui rend régulièrement visite, il raconte l'importance de l'odeur des saisons, de la sueur de ses gardiens et de la lessive de sa mère.
– Super pouvoirs contre super fascistes – Dans cette BD internationaliste, les graphistes indien·nes Orijit Sen et Pakhi Sen transforment l'oncle du prophète en super-héro twitteur. Le voilà au secours de la population de Maqam Alnehr, un village imaginaire qui résiste à l'occupation fasciste de leur source sacrée. Ici, quelques extraits.
– Les étudiant·es gauchistes payent l'addition – L'Université Jawaharlal Nehru de New Delhi a longtemps été réputée pour ses grèves étudiantes. Mais depuis décembre 2023, toute manifestation ou fresque politique est passible d'une lourde amende. Les ex-syndicalistes étudiants Anirban Bhattacharya et Banojyotsna Lahiri s'inquiètent de la destruction de cet espace de liberté dans une tribune publiée en décembre dernier.
– @|LIENd258e77|W0ljaSwgbcOqbWUgbGVzIGFyYnJlcyBwbGV1cmVudC0+NDE2OF0=|@ – Hasdeo Arand, l'une des plus grandes forêts de l'Inde, est fortement menacée par un mégaprojet de mine de charbon. Les habitant·es, déterminé·es, s'organisent pour faire barrage à ce nouvel écocide. Ekta, documentariste prépare un film sur le sujet. Elle nous ouvre son carnet de notes.
– @|LIENd258e77|W8OAIHF1aSBwcm9maXRlIGxlwqB5b2dh4oCJPy0+NDE2OV0=|@ – Zineb Fahsi enseigne le yoga, et porte un regard critique sur l'instrumentalisation de cette discipline. Du paravent « Peace and Love » derrière lequel Modi cache sa politique meurtrière, aux techniques de développement personnel en entreprise, l'autrice du livre Le Yoga, nouvel esprit du capitalisme, partage son analyse.
– @|LIENd258e77|W05hbWRlbyBEaGFzYWwsIHBvw6h0ZSBQYW50aGVycy0+NDE3MF0=|@ – À travers leurs poèmes contestataires, des jeunes auteurs dalits ont fait émerger une critique de la société de castes indiennes et, dans les années 1970, donné naissance aux Dalit Panthers.
– Bollywood : de la couleur au cinéma – Anthropologue, fan de cinéma populaire hindi et autrice du livre Blanc Bollywood – invention d'une peau cinématographique, Hélène Kessous questionne la couleur (politique) des blockbusters de Bombay.
– « Nous avons trouvé dans le théâtre un remède puissant » – Partie rencontrer des femmes victimes de violences pour tourner un documentaire, Angarika G. a bifurqué et décidé de monter une troupe de théâtre avec elles. Récit d'une expérience transformatrice qui les mène aux quatre coins du pays.
– Luttes LGBT+ : C'est sur le terrain que ça se passe – Universitaire, journaliste et activiste gay, Ashley Tellis raconte comment la libération sexuelle n'a pas encore eu lieu en Inde. Critique des ONG luttant pour les droits des LGBT+, qu'il considère animées par la bourgeoisie, il défend un militantisme radical de terrain auprès des plus marginalisé·es.
Mais aussi une carte et un lexique de l'Inde pour s'y retrouver !
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Matrimoine : mettre à l’honneur les oubliées de l’histoire
4 avril, par Émilien BernardMatrimoine sur un plateau est le fruit d'ateliers organisés sur le plateau de Millevaches par Lou Nicollet et Ninon Bonzom. Les participantes et participants étaient invités à parler d'une ancêtre de leur choix, avant de réaliser une linogravure évoquant un souvenir fort. Une manière de faire revivre ce que les autrices désignent comme les « oubliées de l'histoire ».
Le projet Matrimoine est né en 2021 sur le rude plateau de Millevaches, dans le Limousin, suite à une proposition d'une institution culturelle locale. Dans l'appel à projets, il est question de « mettre en valeur des femmes exceptionnelles du territoire limousin ». Les deux amies tombent d'accord pour une approche alternative : « Nous ne voulions pas parler de femmes d'exception, mais de femmes inconnues […] de femmes ancêtres qui ont eu des vies normales, banales […] des femmes dont l'histoire n'est écrite nulle part. »
De mamie gâteau à mamie teigneDix-huit témoignages composent Matrimoine sur un plateau, qui dessinent un archipel mémoriel bigarré, tout sauf uniforme. Beaucoup sont habités par une dimension inachevée, hachée par le temps passé et les vicissitudes de la mémoire, ainsi que par le double ou triple fossé générationnel. Invités à choisir une ancêtre puis à développer leurs souvenirs, les personnes qui témoignent, et dont les entretiens sont reproduits au fil des pages, sont parfois hésitantes, peinent à retrouver les détails : le foyer de l'ancêtre, ses habitudes, son parcours de vie, son objet fétiche… D'autres à l'inverse se montrent prolixes, peuvent retracer par le détail comment elles s'habillaient, les différentes pièces de la maison, les petites manies touchantes… De ces portraits émergent des figures étonnantes, parfois aux antipodes de la « mamie gâteau » se mettant en quatre pour ses petits enfants. On croise ainsi des grand-mères indépendantes, frivoles, teignes. Maria évoque son aïeule Lucia, qui avec son mari tenait une discothèque, et y jouait le rôle de bodyguard, expulsant les fâcheux à coups de balai bien sentis (la linogravure associée met évidemment en valeur ledit balai vengeur). Quant à Léo, iel livre le portrait fascinant de son arrière-grand-mère, Charlotte, dite Le Chat. À la fois figure d'ascension sociale féminine, puisqu'elle bosse comme physicienne dans l'entre-deux-guerres, et être humain carrément borderline, d'une méchanceté dévastatrice. À son mari qui avait perdu une jambe, elle lançait vanne sur vanne, type : « Tu voudrais pas mettre la table ? Ah bah non, tu peux pas, parce que tu sers à rien, parce que t'es qu'un déchet ! » Ambiance. Et Léo de conclure : « Le fantôme de la famille, tu vois, qui a traumatisé les deux générations suivantes. »
« C'est pas très fini… »Traumatisme, le mot est lâché, et il imbibe ce livre. Dans cette quête du matrimoine, définie par les autrices comme « l'héritage culturel légué par les générations de femmes nous ayant précédé », surgissent bien souvent des ombres grises, les stigmates des violences subies qui à l'époque ne se disaient pas. Il y a parfois doute : « J'ai jamais imaginé que son mari ait pu lui foutre sur la gueule », explique Sonia, à propos de sa grand-mère Maria. Avant de se raviser au vu de certains détails : « Mais en fait c'est absolument pas contradictoire et tout ça aurait très bien pu… J'en sais rien. »
« On hérite pas que des gènes, on hérite de plein de choses concernant ses ancêtres, et il y a des choses qui peuvent être chouettes mais d'autres qui peuvent être très très lourdes »Dans d'autres récits, l'horreur, explicite, a percé les chapes de silence. Ainsi de Mémé Rose, la grand-mère vietnamienne de Patricia, qui au pays comme après son exil a subi des viols à répétition, dans un infernal cercle vicieux familial : « Ce deuxième mariage, cette deuxième relation avec ce mec qui viole aussi les belles filles, les sœurs de mon père, et qui finit par en tuer une. Et se suicider, se tuer lui-même. Enfin qui finit, c'est vite dit… Parce que ça continue encore aujourd'hui. C'est pas très fini… » Cet entretien-là finit par un simple mot entre parenthèses, bouleversant : « (Pleurs). » « On hérite pas que des gènes, on hérite de plein de choses concernant ses ancêtres, et il y a des choses qui peuvent être chouettes mais d'autres qui peuvent être très très lourdes », explique « Anonyme », dont une ancêtre a été violée à répétition par son mari, et qui rêve d'aller écrire « sale violeur » sur sa tombe.
Mais ces fantômes du passé n'emportent pas tout sur leur passage. Dans cette transmission parfois douloureuse, il y a aussi de pleines brouettes de solidarité, de moments joyeux, d'instantanés gracieux qui ont passé le temps, pour toujours. Quand Jean évoque le souvenir de sa « mamie bionique » trimballant partout ses petits-enfants à l'arrière de son fauteuil roulant, puis de son premier bain de mer sur une immense bouée, on sait que ça ne s'effacera pas. Après tout, c'est désormais écrit noir sur blanc.
Par Émilien BernardMatrimoine sur un plateau, tiré à peu d'exemplaires, n'est pas vraiment distribué en librairie. On peut le commander en écrivant à cette adresse : lounicollet@hotmail.fr. Par ailleurs, deux présentations sont prévues à Marseille : le vendredi 5 avril à 19 h à l'Imprimerie (60, Rue Edmond Rostand, 13 006) et le vendredi 3 mai à 19 h à l'Hydre aux mille têtes (96, Rue Saint-Savournin, 13 001), où il sera possible de se procurer l'ouvrage.
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Marseille : chasser les vautours de la ville
4 avril, par Émilien Bernard, Victor Collet — Arthur PlateauAvec Du taudis au Airbnb, l'ami Victor Collet signe un ouvrage qui retrace cinq années de luttes marseillaises contre le mal-logement et la dépossession urbaine. Entre gabegies municipales menant au drame de la rue d'Aubagne et envahissement par une multinationale américaine tentaculaire, il pointe les poisons qui minéralisent nos villes, esquissant des pistes pour s'y opposer. Morceaux choisis.
Vivre dans l'hypercentre de Marseille, c'est mouvementé. Surtout ces dernières années. Le 5 novembre 2018, alors que l'on était occupé à lutter contre la « requalification » (montée en gamme) de la place Jean-Jaurès, dite La Plaine, deux immeubles mitoyens s'écroulaient à deux pas, quartier de Noailles, aux 63 et 65 rue d'Aubagne. Bilan : huit morts, et un traumatisme durable pour une population marseillaise abonnée aux taudis regorgeant de fissures. S'ensuivirent des manifestations mémorables aux cris de « Gaudin assassin », une répression terrible et meurtrière1, une vague confuse de « mises en péril » avec des milliers de personnes expulsées. Puis le confinement, une élection qui porta au pouvoir le Printemps républicain sous la houlette de Michèle Rubirola, la reprise en main par le PS de Benoît Payan, la vague Airbnb qui accentua le mal-logement… Pfiou ! C'est l'un des grands mérites de Du taudis au Airbnb ; petite histoire des luttes urbaines à Marseille, 2018-2023 (Agone, 2024) : il permet de remettre en contexte ces événements qui se sont enchevêtrés dans l'urgence, essorant plus d'un militant marseillais, fracturant la ville, malmenant ses habitants les plus pauvres.
Se voulant à la fois pavé dans la mare et incitation à l'étincelle, Du Taudis au Airbnb est aussi une histoire orale, vivante et pugnace, où délogés, militants et habitants de longue date témoignent des soubresauts de la période. Quand les requins de l'immobilier profitent des traumas pour faire de la « renta », d'autres s'accrochent à l'idée d'une ville qui ne soit pas un désert urbain pour touristes et fêtards en goguette.
L'extrait ci-dessous ne livre qu'une facette du livre, abordée en fin d'ouvrage, le déferlement d'Airbnb sur Marseille et les premières luttes que cela a suscité. « Paradis du pari spéculatif », s'enflammait sur les réseaux un multipropriétaire accro au Airbnb. C'est heureusement pas encore gagné. Morceaux choisis.
Par E.B« L'élection n'est souvent que l'écume politique de vagues sociales plus profondes. Pour cruciale que soit l'arrivée du Printemps marseillais à la tête de la deuxième ville de France [fin juin 2020], et si bouleversante que soit la fin de l'ère Gaudin, la mairie semble vite réduite à la portion congrue devant une accélération sans précédent. Dans la ville effondrée, l'explosion du marché de la location saisonnière est un revirement brutal. La possibilité d'enregistrer des taux de rentabilité astronomiques comparés à ceux de la location ordinaire, dite “de longue durée”, façonne la airbnbisation d'une partie de Marseille. Dans l'après-Gaudin, alors que les loyers s'affolent, la perspective d'une vie sédentaire et d'une certaine tranquillité s'éloigne. Entre 2016 et 2022, le marché locatif change radicalement. Quelques semaines après la victoire municipale, la sortie du confinement consomme ce basculement. Le nombre de touristes passés à Marseille dépasse les 3 millions, avec un taux d'occupation record. Certaines agences immobilières alertent déjà sur la brutale contraction de logements disponibles, passés de 13 000 en 2016 à moins de 3 000 en 2020. Sans que soit fait un parallèle pourtant évident : on comptait 4 500 annonces sur Airbnb en 2016, déjà plus de 9 000 cet été-là… La transition transforme le centre-ville, de l'intérieur cette fois. Plus question ni besoin de “détruire-reconstruire”. La ville-béton et Euromed' cèdent place à la ville-taudis, qui voisine désormais avec la ville-Airbnb. […] Bien sûr, la conversion du taudis au Airbnb n'est pas l'unique facteur dans la crise du mal-logement qui s'accélère à Marseille. Elle n'est pas la plus déterminante ou la seule raison de l'implantation forcenée de la plateforme non plus. Mais la crise des effondrements et du confinement conjugués a offert un terreau particulièrement fertile à une plateforme qui affectionne tant les crises, et qui accélère voire démultiplie en retour le mal-logement qui en facilitait l'essor. Boucle vertueuse et spéculatrice pour les uns, boucle maligne et infernale pour les habitants. L'explosion du juteux marché du meublé et la reconversion de l'insalubrité lui donnent une saveur toute particulière, à la fois amère et franchement sordide. Imaginez : des mois, des années durant, tant de Marseillais contemplaient leurs fissures, moisissaient dans l'humidité, composaient avec une peur panique de l'effondrement ou de l'évacuation. Et voilà que, pile au moment où l'État et la préfecture, les services des périls et la municipalité auscultent enfin l'indignité et contrôlent certains excès… ce changement profite à d'autres. Dans certains quartiers délabrés où de nombreux locataires rechignaient parfois à s'installer, les cohortes de passagers arpentent désormais gaiement le Marseille populaire et immigré, supplément culturel et exotique pour touristes comblés. Loin d'être achevée, l'ère du mal-logement se nourrit de cet antagonisme social et résidentiel. Car, en apparaissant en plein boom immobilier, le tourisme de masse, qui colonise les rues de Marseille, participe à faire chuter le nombre de logements disponibles. Finis les bons plans d'hier, se loger et se reloger devient un enfer. Attrayant pour les uns, invivable pour d'autres. Dans un centre où la misère gangrène le quotidien, avec un taux de pauvreté touchant 40 % des locataires, l'explosion des prix et la rareté des locations mettent la vie des Marseillais encore un peu plus sous pression. Ces transformations bousculent les sociabilités, superposent des économies, des réalités et des populations très éloignées, inquiètent ou épuisent le voisinage, menacent les solidarités. Au milieu des fuites, des déplacements contraints, des files d'attente, certains s'organisent, documentent, affichent, piétinent, ralentissent ou réglementent à leur manière le concentré de contradictions qui s'empare de Marseille. […]À l'été 2021, des [militants] relancent la machine grippée en créant un “Observatoire de la gentrification”. L'idée : documenter avec indices, preuves, l'évolution des prix, des sociabilités, des commerces, l'explosion des terrasses, la privatisation des espaces. […] Les cartes révélées lors des soirées de débat sur l'implantation des Airbnb choquent même les plus habitués. Réalisées à partir de captures des données de la plateforme, elles bousculent les représentations tant l'invasion est tangible sur un périmètre pourtant très restreint. […] Le pic de l'été 2022 et la frénésie touristique à La Plaine mettent d'ailleurs un terme à la sidération. Les perturbations de boîtiers à clés se multiplient. Devenus les symboles les plus ostensibles de la dérégulation (sans le moindre intermédiaire), ils sont aussi les “membres” les plus accessibles d'une hydre qui se tient à distance et cachée. Repeints, abîmés, collés, dégradés, décorés, volés ou mis hors service, ils font les frais de l'exaspération des habitants. […] Dès la rentrée, une coordination des actions anti-gentrification (CAAG) est créée, qui prend acte que le logement et les prix inabordables sont devenus un enfer partagé. Deux fronts prioritaires occupent vite le regroupement : la depuis longtemps décriée gentrification, ses symptômes les plus visibles de privatisation des espaces et de transformation des quartiers ; la airbnbisation, qui décuple la première en détruisant méthodiquement un nombre considérable de logements pour les habitants et en faisant exploser les prix. […] Des déambulations en centre-ville rassemblent quelques centaines puis près d'un millier de personnes. Ces charivaris reprennent les traditionnelles descentes bruyantes sous les fenêtres de voisins pour les remettre à leur place ou les chasser de la communauté. Déguisés en touristes, munis de valises à roulettes, les charivaristes rendent visibles le long des parcours les vitrines de la gentrification et de la airbnbisation. De façon festive, bruyante ou menaçante, la déambulation chante, s'arrête, cible des enseignes du bas de la rue d'Aubagne, les concept stores du cours Julien, repeignent la conciergerie Airbnb du cours Lieutaud, passent un bonjour inamical ou peinturé aux agences immobilières adeptes du côté “bohème” pour asseoir leur rentabilité… (to be continued). » « Dans la ville effondrée, l'explosion du marché de la location saisonnière est un revirement brutal »Par Victor Collet
1 . Elle causa notamment la mort de Zineb Redouane. Lire « Zineb Redouane, notre d(r)ame », CQFD n°176 (mai 2019).
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Lexique et carte de l’Inde
4 avril, par Camille Auvray, L'équipe de CQFDPour s'y repérer dans notre dossier spécial Inde : « Mousson brune : Fascime et résistances » d'avril 2024, quelques éléments de lexique - et même une carte !
1,4 milliard, Ça en fait du monde !L'Inde est un État fédéral, composé de 28 États marqués par des différences économiques, religieuses, et culturelles importantes. Avec ces 1,4 milliard d'habitant·es c'est le pays le plus peuplé au monde. Si près de 60 métropoles dépassent le million d'habitant·es et que les mégalopôles de New Delhi (58,2 millions d'habitants) et Mumbay (28,6 millions d'habitants) sont parmi les plus peuplées du monde, la population rurale reste majoritaire à près de 65 %.
- 1) Ayodhya : Lieu de la destruction de la mosquée Babri Masjid en 1992 et de l'inauguration du nouveau temple au dieu Ram en janvier 2024 [voir Discours génocidaires à l'ombre des décombres ].
- 2) Cachemire : Territoire qui lutte pour son autonomie. En août 2019, la semi-autonomie dont jouissait cet État depuis l'indépendance a été retirée, avec l'abrogation des articles 370 et 35A de la Constitution indienne, qui définissait le statut spécial accordé à l'État du Jammu-et-Cachemire [@|LIEN8e6d450|W0Nocm9uaXF1ZXMgZGUgbCdJbmRlIHJ1cmFsZS0+NDE3NF0=|@].
- 3) Pune : Ville qui a accueilli la conférence contre le fascisme « Elgar Parishad », le 31 décembre 2017, dont les organisateur·ices ont été accusé·es d'avoir incité à la révolte. 16 militant·es des droits de l'homme ont l'année suivante été emprisonné·es et attendent toujours leur procès [voir « Parler de fascisme, c'est être à la hauteur de la situation »].
- 4) Hasdeo Forest : Forêt défendue par les personnes qui y vivent, appartenant à des communautés adivasis (voir ci-contre) alors qu'un gigantesque projet d'extraction de charbon est en cours [voir @|LIEN8e6d450|W0ljaSwgbcOqbWUgbGVzIGFyYnJlcyBwbGV1cmVudC0+NDE2OF0=|@].
- 5) Allahabad : La ville où la leader étudiante musulmane Afreen Fatima vivait et dont la maison a été démolie par le pouvoir [« @|LIEN8e6d450|WyBOb3VzIGRldm9ucyBiYWlzc2VyIGxlcyB5ZXV4IGV0IG5lIHBhcyBmYWlyZSBkZSBicnVpdCDCuy0+NDE2NV0=|@].
- 6) Tihar Jail (Delhi) : La prison où se trouve le leader Umar Khalid pour s'être mobilisé en 2020 contre la loi qui refuse la citoyenneté aux musulman·es qui ne sont pas né·es en Inde [voir « La sueur des flics et les larmes des familles »].
- 7) Jawaharlal Nehru University (Delhi) : L'université, réputée pour la liberté d'expression et le débat d'idées, est surveillée par le pouvoir [Les étudiant·es gauchistes payent l'addition].
->4167]
LexiqueAdivasi : Terme hindi signifiant « premiers habitants » et regroupant près de 700 tribus différentes (plus de 100 millions de personnes). Refusant le système des castes, les avidasis vivent encore majoritairement dans les forêts et sont en grande partie les descendant·es de celleux qui habitaient le territoire avant les invasions aryennes (2e millénaire av. J.-C.) et turques musulmanes (dès le VIIIe siècle).
Bharatiya Janata Party ou BJP : « Parti du peuple indien », formation ultranationaliste qui a porté Narendra Modi au pouvoir en 2014. Son projet politique est de faire de l'Inde un État hindou [voir Hindutva].
Caste : Système social mis en place il y a environ 3 500 ans. Les castes sont très nombreuses, mais regroupées en quatre catégories hiérarchisées (appelées varnas) : au sommet les brahmanes [prêtres, hommes de lettres] associés à la pureté, suivis des kshatriyas (guerriers, nobles, gouvernants) et des vaishyas (commerçants, exploitants agricoles), viennent ensuite les shudras (artisans, manœuvres agricoles ou autres) qui représentent environ 50 % de la population, et tout en bas, les acchut, mot signifiant « intouchables ». Bien que les castes aient été officiellement abolies en 1950, les mariages se font le plus souvent au sein d'une même jati (sous-groupe de caste), le nom de famille de chacun signale sa position sociale, et beaucoup de métiers sont occupés par les membres d'une même caste. L'État réserve des quotas de postes publics à celles et ceux issu·es de castes historiquement discriminées.
Dalit : « Brisé » en hindi. Mot choisi par les intouchables pour s'autodésigner après que le groupe politique révolutionnaire des Dalit Panthers l'a popularisé dans les années 1970 [voir @|LIEN8e6d450|W05hbWRlbyBEaGFzYWwsIHBvw6h0ZSBQYW50aGVycy0+NDE3MF0=|@]. Aujourd'hui comme hier, ils effectuent les tâches les plus dégradantes – autant qu'indispensables – de la société (nettoyage des latrines et des égouts, collecte des ordures, équarrissage, etc.). D'après le recensement de 2011, ils représentent plus d'un dixième de la population.
Citizen amendment act ou CAA : Amendement à la loi sur la citoyenneté promulgué en décembre 2019 et mis en application en mars 2024, qui élimine des obstacles à l'obtention de la citoyenneté indienne pour les hindous, les sikhs, les bouddhistes, les jaïns, les parsis et les chrétiens originaires des pays voisins d'Afghanistan, du Bangladesh et du Pakistan. Les réfugié·es musulman·es sont exclu·es du dispositif.
Hindi-ourdou : Autre nom de l'hindoustani, langue parlée dans le nord de l'Inde, qui se nourrissait d'un riche mélange de sanskrit, d'arabe et de persan. De cette langue sont nées les langues modernes hindi (plus inspiré du sanskrit) et ourdou (avec plus de mots issus du persan et de l'arabe), dont les locuteurs se comprennent toujours aisément à l'oral. Parmi les 270 langues parlées en Inde, le hindi est la langue maternelle de 41 % de la population, première langue officielle devant l'anglais.
Hindutva : Idéologie ethnonationaliste qui cherche à ériger un État hindou en Inde, dans lequel la communauté religieuse hindoue jouirait de privilèges et de droits dont seraient exclues toutes les minorités, considérées comme illégitimes à habiter le pays. Le BJP, parti actuellement au pouvoir, met en application cette idéologie.
Unlawful Activities (Prevention) Act ou UAPA : « Loi relative à la prévention des activités illégales », législation anti-terroriste largement utilisée actuellement pour enfermer des opposant·es et activistes, permettant notamment de rendre beaucoup plus difficile la liberté conditionnelle avant jugement.
Vishva Hindu Parishad ou VHP : « Conseil hindou mondial », organisation ultranationaliste sous la tutelle du RSS [voir « Parler de fascisme, c'est être à la hauteur de la situation »] chargée de développer les projets de « services sociaux », mais qui s'applique à développer les infrastructures hindouistes dans tout le pays. Il a planifié la destruction de la Babri Masjid et encouragé les pogroms antimusulmans de 2002 au Gujarat.
Par Camille Auvray et la rédaction de CQFD