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Au sommaire du n°245 (en kiosque)
4 octobre — Marina Margarina, Sommaire
Ce numéro d'octobre revient, dans un grand dossier spécial, sur le mouvement Bloquons tout et les différentes mobilisations du mois de septembre. Reportages dans les manifestations, sur les piquets de grève, et analyses des moyens d'actions. Le sociologue Nicolas Framont et l'homme politique Olivier Besancenot nous livrent également leur vision de la lutte. Hors dossier, on débunk le discours autour de la dette française, on rencontre les soignant•es en grève de la prison des Baumettes et une journaliste-chômeuse nous raconte les dernières inventions pétées de France Travail.
Quelques articles seront mis en ligne au cours du mois. Les autres seront archivés sur notre site progressivement, après la parution du prochain numéro. Ce qui vous laisse tout le temps d'aller saluer votre marchand de journaux ou de vous abonner...
En couverture : « Si nous tirons tous, il tombera » par Marina Margarina
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Dossier « Si nous tirons tous, il tombera »
– Se rendre ingérables – L'intro du dossier signé par la rédac.
– Au péage de Lançon-de‑Provence, pas de pitié pour Vinci – Dimanche 7 septembre, une centaine de joyeux lurons bariolés s'est retrouvée au péage de Lançon-de-Provence pour une action « péage gratuit ». Pendant une heure, ils ont maintenu les barrières ouvertes, distribué des tracts et récolté des deniers pour soutenir la mobilisation du 10 à venir.
– Bloc parti – Pour transformer le doux fantasme du blocage général en une réalité palpable, quatre points de rendez-vous avaient été fixés à Marseille. La prise d'initiative et l'audace remarquable n'ont pourtant pas suffi à paralyser la ville.
– Eurolinks : un grain dans la machine militaire – Des centaines de personnes se sont relayées tout au long de la journée pour bloquer l'usine Eurolinks, mettant ainsi à l'arrêt la production de l'entreprise exportatrice de maillons de munitions en Israël. Récit d'une action réussie.
– Une kermesse comme quartier général – À Marseille, le 10 septembre n'a pas seulement vu des tentatives – plus ou moins abouties – de blocages, sabotages et autres réjouissances. En centre-ville, une kermesse militante s'est tenue pour la journée, véritable base arrière. Petit tour de cette initiative festive.
– La marmite sous les directions syndicales – Ça devient une habitude : cette rentrée, alors qu'enfin la mobilisation reprend, l'intersyndicale la discrédite, avant de s'empresser de calmer le jeu. Alors oui, elle parvient encore à entraver les secteurs qui se reposent sur elle. Mais dans ses bases, les grévistes ont des revendications de plus en plus politiques. Avec risque de débordement.
– Nationaliser l'énergie – Quand on fait grève, en général, on ne se repose pas. À courir de manif en piquet, de réunion en AG, le cerveau est dopé et ne s'arrête plus de tourner. Le 17 septembre dernier, on débattait avec les grévistes de la CGT Mines et Énergie de la nationalisation de leurs outils de production.
– Convergences en divergences – Le jeudi 18 septembre, les militant·es qui bloquaient l'usine Eurolinks ont rejoint par hasard le piquet de grève des salariés sous-traitants en charge du nettoyage des métros et bus marseillais de la RTM, la Régie des transports métropolitains. Une rencontre entre deux univers de lutte.
– Circulez, y'a rien à voir ! – Fin août, le ministère de l'Intérieur publie en catimini un nouveau texte pour donner un cadre à l'intervention des forces de l'ordre lors de « violences urbaines ». Problème : la protection des journalistes est remise en cause. Récit d'une nouvelle tentative de censure de la liberté de la presse.
– Nicolas Framont : « Quand la peur change de camp, le rapport de force devient favorable » – Dans son dernier ouvrage Saint Luigi, Nicolas Framont repose la question de la violence en politique à partir d'une réflexion sur l'affaire Luigi Mangione aux États-Unis. Pas d'appel à tuer des PDG ni à manger des riches, mais une invitation au débordement, par la base, de nos orgas mortifères.
– Olivier Besancenot : « En prenant un bain d'anarchisme, le marxisme d'aujourd'hui peut sortir régénéré » – Dans leur dernier livre Marxistes et libertaires : affinités révolutionnaires, Olivier Besancenot et Michael Löwy retracent l'histoire des alliances et solidarités entre ces deux courants, avec l'espoir de voir advenir un futur rouge et noir. Entretien.
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Actualités d'ici & d'ailleurs
– « Rembourser la dette comme on fait pénitence » – En juillet 2025, Bayrou proposait une année blanche, la suppression de deux jours fériés et tout un tas de mesures austéritaires pour échapper à la « malédiction de la dette ». Rien que ça. On débunke ce discours mystico-religieux avec Maxime Menuet, économiste et professeur à l'Université Côte d'Azur.
– Solidarité à la française – « Nous avons, aujourd'hui, un taux de chômage qui est le plus bas depuis quinze ans », fanfaronnait Emmanuel Macron quelques mois avant sa réélection. Sa solution : réduire la durée d'indemnisation et allonger celle nécessaire pour ouvrir des droits. Résultat : des demandeurs d'emploi sous pression, contraints d'accepter un job « quoi qu'il en coûte ».
– « Créer de la vie au milieu de la mort » – On avait eu le bonheur de le croiser à Vienne, au printemps, en marge d'un concert de soutien aux victimes du génocide de Gaza. Membre du groupe de shamstep 47SOUL et auteur d'une œuvre en solo aussi prolifique que bouleversante, le chanteur palestinien en exil El Far3i, Tareq Abu Kwaik de son vrai nom, est de ces artistes qui raniment la flammèche de l'humanité au cœur des temps obscurs. ***
Côté chroniques
– Lu dans... | La Vuelta gagnée par le mouvement pro-Palestine en Espagne - Le 14 septembre, 100 000 manifestants ont occupé le centre de Madrid et arrêté avec succès la dernière étape de la Vuelta, course cycliste nationale espagnole. Le journal Viento Sur revient sur les leçons politiques de l'évènement1.
– Sur la Sellette : L'intérêt des allocataires – En comparution immédiate, on traite à la chaîne la petite délinquance urbaine, on entend souvent les mots « vol » et « stupéfiants », on ne parle pas toujours français et on finit la plupart du temps en prison. Une justice expéditive dont cette chronique livre un instantané.
– Échec scolaire | Le fantôme du retour du serpent de mer de la grève générale – Loïc est prof d'histoire et de français, contractuel, dans un lycée pro des quartiers Nord de Marseille. Chaque mois, il raconte ses tribulations au sein d'une institution toute pétée. Ce mois-ci il nous emmène dans les AG du secteur de l'éduc' qui peinent à construire une grêve reconductible.
– « Tradwives » : elles lavent leur linge sale en public – Les bas-fonds des réseaux sociaux, c'est la jungle, un conglomérat de zones de non-droits où règnent appât du gain, désinformation et innovations pétées. Alors qu'on pensait le mouvement tradwife en pleine expansion, certaines anciennes adeptes prennent la parole sur Tiktok ou Instagram pour alerter sur cette forme réchauffée d'exploitation.
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Côté culture
– Alcool ou pas cool ? – Alors que les drogues non légalisées sont stigmatisées, l'alcool est plutôt encouragé tant qu'il ne déborde pas. Et il est rarement interrogé avec finesse. Les rapports que l'on entretient avec lui sont pourtant éminemment pluriels, de même que les ressorts de l'addiction. C'est ce que souligne Fracasse, fanzine collaboratif évitant l'écueil de la culpabilisation.
– De l'annexion au génocide – Le recueil de textes Gaza, génocide annoncé, présente des décennies de réflexions du chercheur Gilbert Achcar à propos de la Palestine. Un ouvrage dense, mais cohérent : le génocide à Gaza n'est pas le fruit du hasard, il est latent depuis la fondation de l'État d'Israël.
– Frénésie de dissolutions - Contre-pouvoir essentiel en régime démocratique, les associations politiquement engagées subissent les assauts de l'État et de collectivités territoriales bien décidés à les faire taire. Antonio Delfini et Julien Talpin recensent et dénoncent ce bâillonnement croissant dans L'État contre les associations – Anatomie d'un tournant autoritaire.
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Et aussi...
– L'édito – La tatane entre les dents !
– Ça brûle ! – Mettez-nous le feu !
– L'animal du mois – Espiègle fouisseur
– Abonnement - (par ici)
1 « Situación y lecciones de una victoria política que abre camino más allá del gobernismo », Viento Sur (17/09/2025).
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La marmite sous les directions syndicales
4 octobre, par Livia Stahl — Le dossierÇa devient une habitude : cette rentrée, alors qu'enfin la mobilisation reprend, l'intersyndicale la discrédite, avant de s'empresser de calmer le jeu. Alors oui, elle parvient encore à entraver les secteurs qui se reposent sur elle. Mais dans ses bases, les grévistes ont des revendications de plus en plus politiques. Avec risque de débordement.
« Nos AG ne doivent pas être récupérées, ni par les partis ni par les syndicats » entend-on marteler lors des différentes assemblées de préparation de la journée de mobilisation du 10 septembre. Spontanément apparu sur divers réseaux sociaux, le mouvement « Bloquons tout » s'est rapidement gonflé d'anciennes communautés de Gilets jaunes et semble bien décidé à porter en lui, l'ADN des révoltes populaires de 2018. C'est que, depuis la défaite cuisante de la réforme des retraites, et la responsabilité avérée de l'intersyndicale dans le délitement de la mobilisation, la stratégie qui semble avoir le vent en poupe, c'est la bordélisation généralisée type Gilets jaunes. Et qu'importe si la sociologie des assemblées de cette rentrée, plus urbaine, s'en trouve finalement assez éloignée1. Surgissant hors des cadres institutionnalisés, le « 10 septembre » a terrorisé politiciens et journalistes, jusqu'à précipiter la démission du Premier ministre.
Mais rapidement, la question de la construction dans la durée – et donc de la coordination du mouvement – se pose. Poussées par leurs bases, les directions syndicales nationales entrent à reculons dans le mouvement. Après la journée du 18 septembre, l'intersyndicale2 semble tout faire pour donner le temps au gouvernement de se réorganiser, calmer les esprits et rétablir dare-dare le sacro-saint dialogue social. Malgré cette complaisance, les directions locales semblent disposées à suivre son rythme. Mais pour combien de temps ? Sous la chape de plomb bureaucratique, on est allé discuter avec les travailleurs de la région PACA, dont les revendications dépassent largement leurs conditions de travail : ils exigent la démission de Macron, le retour de leurs conquis sociaux et la chute de la Ve République.
Les directions syndicales dans la stratosphèreC'est dès la fin de l'été que la confédération CGT avait commencé son travail de sape. Sa secrétaire générale Sophie Binet qualifiait alors le mouvement social de « nébuleux », les « modes d'action » de « flous » et avertissait du risque de « noyautage par l'extrême droite ». Mais vu l'engouement qu'il suscite, l'intersyndicale est finalement obligée de raccrocher les wagons et d'annoncer le 29 août la (contre-)journée du 18 septembre, dans un effet de mise en concurrence difficile à comprendre. Les revendications qui vont avec sont aussi creuses que minimalistes : « des mesures pour lutter contre la précarité » ou l'abandon du seul âge de 64 ans de départ à la retraite – et non de la réforme entière. Pas de quoi galvaniser les foules.
« Les “bureaucrates” ne prennent aucune initiative et font traîner toutes les décisions sous prétexte de chercher à être consensuels. »Pourtant, à l'approche du 10 septembre, les assemblées Bloquons tout regorgent de travailleurs isolés qui cherchent à s'organiser, se mettre en grève et soutenir les piquets existants. Mais, malgré le succès explosif de cette journée en termes de participation, force est de constater que les 80 000 policiers déployés par Bruno Retailleau ont eu raison des blocages en quelques heures. Alors le soir, en assemblée, la question de la grève générale devient centrale. Et avec elle, la nécessité de s'organiser avec les syndicats. En effet, comme le résume un cinquantenaire de la CGT Vinci Autoroutes, « c'est plus facile de bloquer sa propre entreprise en faisant grève, que d'aller en bloquer une autre : ça demande moins de monde et c'est plus efficace ». Pour preuve : le 16 septembre, une poignée d'énergéticiens, emmenés par la Fédération CGT Mines et Énergie, décide de ne plus décharger les bateaux transporteurs de méthane au terminal de Fos-Cavaou, et prive illico toute la région (et au-delà) de ses principaux approvisionnements en gaz de ville.
Des bureaucraties locales enliséesMais au-delà de la Fédération CGT Mines et Énergie, qui avait prévu son débrayage depuis trois mois, les autres secteurs peinent à se joindre au mouvement. Même à EDF Marseille, les bureaucraties syndicales locales n'ont rien fait pour mobiliser leurs troupes, raconte Bastien*, ingénieur : « Notre syndicat n'a fait aucune tournée de bureaux pour mobiliser les collègues, même pour le 18, et au lieu de nous convoquer en AG, il a proposé une visio ! Forcément, il y a eu peu d'échanges pour se motiver ». Même constat du côté de l'Éducation nationale (voir ci-contre). Surveillant dans un lycée marseillais, Alfredo* est allé soutenir les énergéticiens sur leur piquet de grève : « Il n'y a pas que des bureaucraties nationales dont il faut nous méfier. Dans nos établissements, les “bureaucrates” ne prennent aucune initiative et font traîner toutes les décisions sous prétexte de chercher à être consensuels. Ça n'est pas avec eux que nous devons chercher à nous organiser ».
Les mots d'ordre des travailleurs détonnent et vont bien au-delà de leurs conditions de travailEt quand on va les chercher dans les cortèges de la manif du 18 septembre, les responsables syndicaux témoignent souvent de la même passivité. Y compris chez les téméraires dockers de Fos-sur-Mer, dont le secrétaire général Christophe Claret : « On attend de voir s'il y a des dates annoncées par la confédé [CGT] pour monter tous ensemble. On suivra la marche… »
Mais des grévistes radicalisésSi cette docilité désespère sans tellement surprendre, en revanche, ce sont les mots d'ordre des travailleurs qui détonnent, et vont bien au-delà de leurs conditions de travail. « La température du secteur ? Une répulsion extraordinaire vis-à-vis du budget annoncé et de la casse des retraites ! », s'exclame le syndiqué de Vinci Autoroutes. Ou Christophe Claret, qui tout à coup se réveille : « Nos “revendications du secteur” ? C'est la politique nationale ! La casse de la sécu et du chômage ! » À Airbus, un autre analyse : « Les collègues disent spontanément que “derrière les politiques, il y a le patronat”. C'est une avancée dans les consciences, surtout quand on sait que la moitié vote RN. On n'entendait pas ça il y a cinq ans. »
Sur son piquet au port de Fos-Cavaou, Nicolas Davan, secrétaire général de la CGT Énergie Provence, résume : « Le combat qu'on mène ici, c'est le même que le 10 septembre : “Macron démission”, évidemment. Mais derrière, c'est aussi un microcosme d'ultrariches qui s'accapare à peu près tout, à commencer par les services publics. La Ve République est trop permissive pour les riches. Politiquement, il faut changer complètement la donne. »
« Ça va pas marcher avec des incantations ou de simples manifestations »A contrario, le très précaire secteur du médico-social, peu investi de syndicats, montre à Montpellier et Marseille une soif d'organisation et de radicalité. Ici s'est monté le 18 septembre une AG du secteur entier qui, en moins d'une semaine, a formulé ses propres revendications. Elle a prévu un cortège commun, des blocages d'assos et une manif au siège du département.
Vers une coordination par le bas ?Ce décalage entre colère politique et faible taux de grévistes, un responsable syndical de la CGT Carrefour Logistique l'explique par la précarité : « Aujourd'hui, les gens sont vraiment pris à la gorge et ne peuvent pas se permettre de perdre des journées de salaires. » Mais la difficulté à convaincre ses collègues se trouve aussi dans l'absence d'une stratégie claire et intransigeante de leurs directions syndicales, qui serait à même de donner confiance en l'efficacité et l'utilité de leur grève. « Ça va pas marcher avec des incantations ou de simples manifestations, poursuit Nicolas Davan. Il va falloir faire en sorte qu'il y ait une prise de conscience chez les gens, et les emmener sur des choses un peu plus efficaces, comme reprendre en main notre outil de travail. » Cette direction stratégique, l'intersyndicale prouve à nouveau qu'elle ne l'incarne pas ni n'en prend le chemin. Après le succès du 18 septembre, au lieu de maintenir la pression, elle laisse gracieusement quelques jours au Premier ministre pour répondre à ses revendications : « La balle est dans [son] camp », fait-elle mine de menacer dans son communiqué.
Pour que, précisément, la balle reste dans notre camp, certaines assemblées Bloquons tout veulent se proposer comme cadre autonome d'organisation interprofessionnelle. Mais les syndiqués les voient – à raison – comme des espaces « où tout le monde est déjà d'accord », quand pour eux, la priorité est d'aller convaincre les collègues de la nécessité de la grève.
Petit à petit, mouvement social après mouvement social, gagné ou perdu, on espère que cette conscience de classe progressera jusqu'à trouver le chemin de son auto-organisation. Quoi que devienne cette rentrée, elle reste une fenêtre dans laquelle nous engouffrer. Et que brûle le feu sous la marmite !
Livia StahlÀ lire aussi :
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