un projet gouvernemental
En 2007, la ministre de l’Intérieur annonce son intention de tripler le nombre de caméras de vidéosurveillance sur la voie publique en France dans les prochaines années (de 20.000 existantes à 60.000 prévues). À cette époque, le terme “vidéoprotection” commence à nous être imposé dans les discours officiels.
À Paris, c’est le préfet de police qui est chargé d’élaborer le quadrillage urbain par les caméras. Le projet, surnommé “plan 1000 caméras”, s’intitule “Plan de vidéoprotection pour Paris” (PVPP). Un ingénieur militaire est recruté pour définir le plan et le cahier des charges. En avril 2009, la préfecture de police lance un appel d’offres pour un système de surveillance “constitué initialement d’environ 1300 caméras sur la voie publique, avec une capacité d’évolution”.
Un premier lot de 35 “caméras-test” est d’abord installé par une filiale de Bouygues à partir de l’été 2010. Mais ce sont les entreprises Citelum et Inéo qui remportent le principal appel d’offres pour l’installation des caméras en juillet 2010. Le plan prévoit que l’accès aux images filmées et enregistrées sera réservé aux agents des services de police nationale et à certains agents municipaux “dûment habilités à cette fin”.
combien de caméras ?
Il existe déjà des caméras dans l’espace public parisien (environ 300 en plus d’une centaine embarquées à bord de voitures de police) . Avec le PVPP, il y aura à terme 1302 caméras, des “caméras-dômes” pouvant pivoter sur 360° à l’intérieur d’une demi-sphère opaque (Le Parisien du 3 janvier n’en annonce “plus que” 1091).
Les images seront enregistrées et conservées pendant un mois (voire plus en cas d’enquête). Surtout, le projet prévoit la mise en place d’un “système fédérateur destiné notamment à permettre l’interconnexion avec des systèmes de vidéoprotection partenaires publics et privés” ; il est ainsi prévu de raccorder à ce réseau ceux de la RATP, des grands magasins, de la Tour Eiffel, du musée et du carrousel du Louvre, du stade du Parc des Princes, du Forum des Halles. De 1300 caméras, on passe maintenant à plus de 13.000, reliées entre elles par 400 km de fibre optique alimentant 55 sites dont les commissariats mais aussi la direction de “l’anti-terrorisme” (Le Figaro, 20 décembre 2010). Les travaux dans les rues de Paris commenceraient en février 2011.
Une multitude de tâches est assignée au PVPP : “gestion de la circulation”, “gestion de l’ordre public” (notamment à l’occasion des manifestations et rassemblements), “sécurisation contre la délinquance”, “prévention du risque terroriste”, “aide aux opérations de secours”. De son côté, le concepteur de l’architecture informatique pilotant le PVPP estime que “concevoir un tel projet, c’est comme imaginer un système d’armes” (Le Figaro, 20 décembre 2010). Un avis qui tranche avec les propos de ceux qui ne cesse de vanter le caractère “vidéoprotecteur” des caméras.
le soutien de la Ville de Paris
À l’hiver 2008, une petite phrase, noyée dans les 68 pages du programme de campagne municipale de Bertrand Delanoë annonce discrètement l’appui du maire de Paris au PVPP : “Nous soutiendrons en outre le développement de la vidéosurveillance dans les lieux les plus fréquentés, et dans le respect strict des libertés individuelles” (Paris, un temps d’avance, janvier 2008, page 42). Cette promesse est édulcorée, voire passée sous silence, dans les argumentaires électoraux des listes socialistes d’arrondissements.
Le soutien de l’exécutif municipal au projet se confirme par la suite et ne se limite pas seulement au plan symbolique : en novembre 2009, le Conseil de Paris vote une participation de 5 millions € au financement des travaux d’installation des caméras. 112 élus votent “pour” (PS, MRC, UMP et NC), 16 “contre” (Verts, PC, PG) et 4 s’abstiennent (2 PC, 2 PS).
un besoin de légitimation
En bon politicien, le maire de Paris se drape dans sa légitimité électorale : il doit à ses électeurs et électrices de “tenir ses promesses”. Pour faire taire les voix discordantes, il s’agit pourtant de faire un peu plus et, pour préserver les apparences démocratiques, de montrer qu’une “véritable concertation” sera tenue sur le sujet. Aussi, dès la fin 2008 et sur l’année 2009, les mairies d’arrondissement vont organiser des réunions officielles en partenariat avec la préfecture de police.
Comme souvent dans ce type d’initiatives, la publicité reste discrète : seuls les habitants qui suivent l’actualité municipale sont au courant. Quant à la forme, elle est assez semblable d’une réunion à l’autre : la préfecture de police est à chaque fois l’invitée d’honneur ; accompagné de responsables locaux de la police, le directeur de cabinet du préfet de police vient présenter le PVPP et l’implantation des caméras. Malgré les protestations du public à certaines occasions, la discussion est évidemment verrouillée : elle ne peut porter que sur la pertinence des choix d’emplacements de caméras et pas sur le principe-même de vidéosurveillance.
Et, si, au printemps 2009, les conseils de quartier parisiens – instances pseudo-consultatives dépendant des mairies d’arrondissement – qui ont abordé le sujet ont tous adopté des vœux demandant l’arrêt du plan préfectoral, les autorités municipales sauront ignorer ces initiatives (à l’inverse, aucun conseil de quartier n’a manifesté de soutien au PVPP). Au delà des grands discours, la “démocratie locale” a servi à avaliser des décisions déjà prises et à leur apporter un utile vernis démocratique.
charte et comité d’éthique
Dans le processus d’acceptation sociale de la vidéosurveillance, on retrouve aussi l’argument déontologique : l’implantation des caméras devait être faite “dans le respect strict des libertés individuelles”. Sans surprise, le PVPP a prévu la création d’un comité et d’une charte d’éthique.
La charte est un décalque des chartes existantes et promet pompeusement “un degré supérieur de protection des libertés individuelles et publiques”. Comme toutes les autres, elle se contente d’être avant tout un rappel des lois existantes – toujours sujettes à modifications comme on peut le voir avec la Loppsi 2 – et de décrire le bon fonctionnement des salles de supervision.
En plus de cette charte, le PPVP s’accompagne de la création d’un comité d’éthique, mis en place le 13 novembre 2009. Ses onze membres sont des “personnalités qualifiées” désignées par le préfet de police et le maire de Paris. Le fonctionnement du comité (salle de réunion, tenue du secrétariat, dispositif de saisine) est, “en toute indépendance”, assuré par la préfecture de police.
1300 caméras, et après ?
La vidéosurveillance a une grande capacité de reproduction : une fois installées, les caméras se multiplient. Aussi Philippe Goujon, maire UMP du 15è, expert en surenchère sécuritaire, réclame-t-il déjà un “deuxième plan ’1000 caméras’”. “L’objectif n’est pas de rester à ce niveau là”, répond le préfet en charge du Fond interministériel de prévention de la délinquance, en parlant du nombre de caméras à Paris (juin 2010).
Quant au préfet de police, il précisait auparavant que “d’autres technologies [étaient] disponibles” (octobre 2008). Faut-il donc s’attendre au développement de la “vidéosurveillance intelligente” (VSI), c’est-à-dire à l’automatisation informatique, aux logiciels de reconnaissance faciale, d’analyse de mouvements et de comportements, de repérage d’objets, de ciblage et de suivi d’individus ? Sans aucun doute puisque le PVPP, “système à haut débit”, “construit sur des standards ouverts”, “évolutif”, est basé sur un réseau piloté par un logiciel créé “pour aider le policier à détecter et afficher uniquement les images utiles à son travail” (Le Figaro, 20 décembre). Ainsi le “plan 1000 caméras” nous fabrique-t-il un espace public sous le contrôle des machines.
refuser la vidéosurveillance
Constitué début 2009, le collectif “Démocratie et libertés – pour un Paris sans caméras de surveillance” (CDL) s’oppose au “plan 1000 caméras”. En organisant des rassemblements, en intervenant dans des réunions municipales, ses membres ont mis en lumière le projet préfectoral discrètement élaboré. Malgré les 11.000 signatures de la pétition demandant le retrait du PVPP, la Ville de Paris a voté son soutien financier au plan et les premières caméras ont été installées. Pour autant, toutjours opposé-e-s à ce projet, nous continuerons à informer sur le sujet et à manifester notre rejet de la vidéosurveillance et de l’inhumaine “Cité du futur” qu’elle promet. À Paris comme ailleurs, refusons les caméras et la pensée sécuritaire !
combien ça coûte ?
Difficile de s’y retrouver. Les premiers chiffres annoncés en 2008 variaient entre 40 et 80 millions d’euros.
Un premier marché concernant l’assistance au montage du projet (incluant le coût de la phase de “consultation” des Parisiens) a été attribué à l’entreprise canadienne SNC-Lavalin pour 571 688 € TTC. L’installation des 35 premières caméras est acquise aux sociétés ETDE (groupe Bouygues) et, dans une moindre mesure, SDEL transports (groupe Vinci) pour 641 978 € TTC. Attribué le 8 juillet 2010 à Inéo et Citelum, le principal marché (conception, construction, entretien, maintenance, exploitation technique du système) se monte à 154 766 936 € TTC.
Il faut aussi y ajouter les frais cachés que constituent l’exonération de taxes sur le passage de câbles dans la voirie consentie par la Ville de Paris en plus de sa subvention de 5 millions € (soit un manque à gagner estimé à 64 millions € selon Les Échos du 8 septembre 2010).
Cela fait un total de 219 980 602 €. Un montant définitif ? Le contrat avec Inéo et Citelum court jusqu’au 21 décembre 2026 : un temps suffisant pour ajouter des avenants et des frais supplémentaires.
Ce montant ne tient pas compte non plus des consommations d’énergie des équipements (payés en partie par la Ville de Paris), ni des frais de personnel (2500 fonctionnaires de police seraient affectés à la surveillance des écrans) et de formation. Ni des notes de frais du comité d’éthique.
IRIS
L’iris est la membrane colorée de l’œil qui se contracte ou se dilate en fonction de la luminosité. Par analogie, le diaphragme à iris est le système mécanique qui permet de faire varier la quantité de lumière entrant dans un appareil photo ou une caméra vidéo. Depuis l’été 2010, Iris est aussi le nom de la “société de projet” créée par les entreprises Inéo et Citelum pour installer le système de vidéosurveillance à Paris.
Citelum est une filiale de Dalkia (groupe Véolia) dont la spécialité est l’éclairage public et l’illumination de bâtiments et monuments. Inéo est une filiale de la branche “énergie & services” du groupe GDF-Suez. Elle développe des activités dans le secteur de l’électricité et de la production d’énergie mais aussi des télécommunications et du transport ou encore de la défense. Un de ses programmes est baptisé “Homeland security”, du nom de la politique sécuritaire post-11 septembre du gouvernement étasunien. En annonçant “inventer la Cité du futur”, Inéo chasse aussi sur les terres des collectivités territoriales en leur proposant divers types de services (éclairage pulic, réseaux de transport, systèmes d’information, vidéosurveillance, etc.)... évidemment servis à la sauce “développement durable”.
Les deux sociétés sont déjà responsables de l’implantation des 624 caméras niçoises.
comité d’éthique
Onze membres composent le comité d’éthique mis en place par le maire de Paris et le préfet de police.
Son président Roland Kessous, avocat général honoraire à la cour de cassation, est un homme du sérail ; ancien directeur de cabinet de deux ministres, il connaît également le ministère de l’intérieur pour avoir été conseiller juridique de Gaston Deferre. Son titre de gloire est d’avoir été administrateur de la Ligue des Droits de l’Homme, association opposée au “plan 1000 caméras”.
Que faut-il attendre des autres membres du comité ? L’ex-préfet Rémi Pautrat est un ancien directeur de la Surveillance Territoriale (contre-espionnage français, fondue avec les Renseignements généraux dans la Direction centrale du renseignement intérieur) qui a assumé la fonction de secrétaire général adjoint de la Défense nationale à Matignon et est aujourd’hui expert en sécurité économique. Pierre Ottavi est un ancien responsable de la préfecture de police qui s’est illustré comme chef de la sécurité du groupe Danone. François Cordier, procureur au TGI, dépend hiérarchiquement d’un gouvernement à l’origine du récent déploiement national de la vidéosurveillance. Olivier Renaudie travaille pour un organisme du Premier ministre et a publié une thèse sur la “préfecture de police”.
Dans ce comité, on trouve encore un représentant de la chambre de commerce de Paris, un autre de la chambre d’artisanat (les petits commerçants), une conseillère d’État en charge des opérations répressives de la Hadopi, un ancien ambassadeur entré au conseil d’administration d’un grand groupe d’assurances...
Souriez, vous êtes filmé-e-s - http://souriez.info - janvier 2011