L’un des stratagèmes pour faire accepter à la population les technologies de surveillance est de rédiger une charte de déontologie et de nommer un comité d’éthique. C’est même une démarche de plus en plus recommandée par les promoteurs de la vidéosurveillance : en avril 2009, la ville de Montrouge (Hauts-de-Seine) accueillait ainsi une conférence de « l’association nationale des villes vidéosurveillées » où l’on s’inquiétait du faible nombre de comités d’éthique existants ; de la même façon, en juin 2010, un autre lobby - le Forum européen pour la sécurité urbaine - accouchait d’une « Charte pour une utilisation démocratique de la vidéosurveillance » préconisant la création de comités d’éthique locaux. Ainsi, dans l’esprit du public, c’est sûr, on peut être rassuré : on imagine un collège de sages à la barbe chenue, indépendants des divers trafics d’influence et veillant au respect des libertés individuelles. Qu’en est-il réellement ? Exemple avec la composition du comité d’éthique parisien.
À Paris, le comité d’éthique de la vidéosurveillance a été créé le 12 novembre 2009 par le préfet de police et le maire de Paris. La préfecture de police est à l’origine de l’installation des caméras dans la capitale. Elle prend aussi en charge toute la logistique du comité : elle met des locaux à disposition pour ses réunions, s’occupe des tâches de secrétariat, organise les visites dans les centres de supervision. C’est aussi la préfecture de police qui réceptionne les saisines du comité faites par les particuliers, via un formulaire informatique sur son site internet. Et c’est le préfet qui informe mensuellement le président du comité des éventuels incidents liés à l’usage des caméras.
La composition du comité ne laisse pas planer de doute : une majorité de ses membres appartiennent à des milieux qui encouragent ou vivent de la surveillance, directement ou non. Onze personnes composent le comité : l’administrateur d’un groupe d’assurances, un ancien directeur de la DST, un représentant la Chambre de commerce et d’industrie, le président de la Chambre des métiers et de l’artisanat, un procureur de la République adjoint, un ancien avocat général, un universitaire, un ancien responsable de la préfecture de police, deux avocats, une conseillère d’État.
Avocat général honoraire à la cour de Cassation, Roland Kessous préside le comité d’éthique. Il fut directeur de cabinet de deux ministres et conseiller juridique du ministre de l’Intérieur Gaston Deferre en 1981. Il a été nommé conjointement par le maire de Paris et le préfet de police, heureux d’avoir débauché cet ancien administrateur de la Ligue des Droits de l’Homme, alors que cette association s’oppose au plan parisien de vidéosurveillance. « Nous sommes totalement indépendants, aussi bien à l’égard du préfet que du maire », affirmait avec candeur M. Kessous en novembre 2009.
Membres du comité désignés par le préfet de police :
À lui seul, le C.V. de Rémy Pautrat témoigne de la supercherie de ce que peut être un comité d’éthique. Dans les documents de la préfecture de police, l’homme est simplement présenté comme un « préfet à la retraite » mais il fut également le patron de la Direction de la Sureté du Territoire, en 1985 (la DST était le service français de contre-espionnage, qui a fusionné en 2008 avec les Renseignements généraux pour devenir la Direction centrale du renseignement intérieur). Rémy Pautrat a aussi travaillé à Matignon comme conseiller à la sécurité (1986-1991). De 1994 à 1996, à l’époque où fut légalisée la vidéosurveillance, il était Secrétaire général adjoint de la Défense nationale, auprès du Premier ministre, et mit en place le « premier dispositif national de compétitivité et de sécurité économique ». Préfet à diverses reprises, il élabora le premier schéma régional d’« intelligence » économique (« Intelligence » est à prendre dans son sens anglo-saxon signifiant « renseignement »). Il finit par mettre à profit l’expérience acquise lors de sa carrière en devenant, en 2005, délégué général de « France Intelligence Innovation » (qui vend de l’analyse et des outils en matière de renseignement et sécurité économiques) et président de « l’Institut d’Études et de Recherches pour la Sécurité des Entreprises » (dont le siège social est à l’École militaire). En octobre 2009, l’IERSE a fusionné avec l’INHES (Institut national des hautes études de la sécurité) et l’IHEJ (hautes études de la justice) pour devenir l’IHESJ (Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice). En 2005, M. Pautrat a également parrainé la promotion des étudiants de “l’École de la Guerre Économique”.
Dans le comité d’éthique, il côtoie Pierre Ottavi, directeur honoraire des services actifs de la Police Nationale. Directeur de la sécurité publique à la préfecture de police de Paris dans les années 90, il a quitté la fonction publique pour rejoindre le groupe agroalimentaire Danone en tant que directeur de la sécurité, de 1999 à 2004.
Maître de conférences à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2), Olivier Renaudie est conseiller scientifique au Centre d’analyse stratégique (Département Institutions et Société), organisme dépendant du Premier ministre. En 2008, il a publié sa thèse de doctorat sur « la préfecture de police ».
François Cordier est procureur de la République adjoint près le Tribunal de Grande Instance de Paris ; il dépend donc hiérarchiquement de l’actuelle Garde des Sceaux qui, à l’été 2007, dans sa précédente fonction de Ministre de l’Intérieur, a fortement relancé le développement de la vidéosurveillance en France.
Chef d’entreprise dans le domaine des travaux publics, Jean-Philippe Biron est membre correspondant de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris qui défend « les intérêts des 220 000 commerçants, industriels et prestataires de services de la capitale », au nombre desquelles les deux sociétés installant les caméras à Paris, Citelum et Ineo. Jean-Philippe Biron est également membre du conseil d’administration de l’Association Nationale des Collaborateurs de Ministres et de Parlementaires (revue « chambre et sénat »).
Membres du comité désignés par le maire de Paris :
L’ancien ambassadeur Loïc Hennekine a également exercé des fonctions de secrétaire général du Quai d’Orsay (2000-2001). Il a achevé sa carrière à Rome en 2005 et il a fait son entrée au conseil d’administration de l’assureur italien Générali en avril 2007. Il est également conseiller de Jacques Attali, président-fondateur de l’association Planet Finance (promotion des micro-financements).
Conseillère d’État depuis 2000, Mireille Imbert-Quaretta a d’abord fait carrière dans le Droit (substitut du procureur, juge puis présidente de TGI). Entre 1984 et 1991, elle fut sous-directrice de l’administration pénitentiaire puis, de 1997 à 2000, directrice adjointe du cabinet de la Garde des Seaux. De 1994 à 1997, elle a été déléguée générale de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (un organisme chargé du contrôle du “bien fondé” des demandes administratives d’écoutes téléphoniques) et, en 2010, elle est nommée à la Commission de la protection des droits chargée de mettre en œuvre la riposte graduée de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi).
Avocat spécialisé dans le domaine des nouvelles technologies, Étienne Drouard fut membre de la CNIL de 1996 à 1999. Au sein de cabinets d’avocats, il assiste les entreprises et acteurs publics dans leurs projets et problématiques liés à l’informatique, aux services en ligne, à la propriété intellectuelle et à la protection des données personnelles. Il préside la commission juridique du Geste (groupement des éditeurs de services en ligne, parmi lesquels Bouygues telecom, E-TF1, Orange ou Lagardère Active) qui traite de l’ensemble des problématiques touchant l’édition de contenus et de services en ligne, afin d’y apporter des réponses juridiques précises. Voire en proposant des amendements à des projets de lois.
Carbon de Seze est un jeune avocat, membre d’une association militant pour la présence obligatoire d’un avocat lors des gardes-à-vue.
Président de la Chambre de métiers et de l’artisanat de Paris, Christian Le Lann est aussi Président du Syndicat de la boucherie parisienne, Vice Président de la fédération de la boucherie parisienne et Secrétaire du conseil d’administration de l’École de boucherie. Dans le comité, il représente les petits commerçants.