Souriez vous êtes filmé·es

La « vidéoprotection », une gabegie | Vous avez dit sécurité ?

mercredi 1er juin 2011


Voir en ligne : http://insecurite.blog.lemonde.fr/2...

Après Paris, c’est Marseille, deuxième plus grande ville de France, qui a annoncé son plan « 1 000 caméras ». La question était à l’ordre du jour du Conseil municipal extraordinaire qui avait lieu ce lundi 30 mai dans la cité phocéenne. De fait, les municipalités de toutes tailles, de la grande métropole jusqu’au village de zone rurale, sont de plus en plus nombreuses à s’équiper en vidéosurveillance. Elles répondent en cela à une « priorité absolue » (François Fillon) de la politique de sécurité depuis 2007. Et pourtant, l’efficacité de cette technologie est tout sauf démontrée du point de vue scientifique.

Rappelons d’abord que la vidéosurveillance est utile à bien des choses. Pour surveiller des entrepôts ou des dépôts de véhicules afin de lutter contre le vol de matériel. Même chose pour les parkings et le risque de vol dans les voitures. Les banques l’utilisent pour filtrer les entrées et sorties et réduire les risques de braquage. Des magasins s’en servent contre le vol à l’étalage. Les casinos pour repérer les tricheurs. La vidéosurveillance contribue aussi à la sécurité publique. On l’utilise pour surveiller le trafic autoroutier. Les sites industriels sensibles l’utilisent en prévention des incidents... Tout ceci existe et fonctionne plus ou moins bien depuis longtemps. La vidéosurveillance est en effet utilisée dans des buts précis, afin de gérer des risques concrets bien identifiés.

Mais ce que l’Etat appelle désormais « vidéoprotection » et qu’il tente de généraliser à toutes les collectivités territoriales (et aux bailleurs sociaux) par une pression politique et une incitation financière, c’est autre chose. Il s’agit ici de déployer des caméras dans l’ensemble de l’espace public, essentiellement dans les rues de nos villes et de nos villages, pour y surveiller tout en général et rien en particulier, en affirmant que cela aura des effets à la fois préventifs et répressifs permettant de diminuer significativement la délinquance. Or les évaluations scientifiques contredisent cette affirmation, remettant ainsi en question la bonne gestion de cet argent public.

La nécessité d’une évaluation scientifique indépendante

Précisons d’abord que, par définition, l’évaluation scientifique ne peut être menée que par des chercheurs indépendants du pouvoir politique et des entreprises privées commercialisant cette technologie. L’éthique scientifique ne tolère pas le conflit d’intérêts. Ensuite l’évaluation scientifique ne se situe pas sur le terrain philosophique mais sur celui des faits. Elle cherche en l’espèce à répondre aux questions suivantes : la « vidéoprotection » est-elle une technique efficace de lutte contre la délinquance ? si oui ou si non, pourquoi ? est-elle un investissement rationnel au regard de l’évaluation d’autres outils de prévention et de répression ? Enfin, une évaluation scientifique repose sur des études de terrain, des observations longues et répétées de fonctionnements ordinaires des dispositifs, des comptages et des calculs précis, des comparaisons rigoureuses et une connaissance de la littérature scientifique internationale.

Tout ceci se distingue fortement des arguments actuels des promoteurs politiques et financiers du système qui utilisent des exemples spectaculaires mais isolés, des faits divers réels mais décontextualisés, des arguments d’autorité au lieu de démonstrations vérifiables et des calculs budgétaires qui « oublient » presque toujours de compter le coût salarial. Pour toutes ces raisons, beaucoup d’élus et de citoyens seront sans doute surpris d’apprendre 1) que la « vidéoprotection » n’a qu’un impact marginal sur la délinquance, 2) qu’augmenter cet impact supposerait des moyens policiers supplémentaires alors qu’ils se réduisent aujourd’hui, 3) que le coût réel du système « assèche » tellement les budgets de prévention de la délinquance que l’on doit conclure à un usage très contestable de l’argent public. Développons un peu.

Quel apport dans la lutte contre la délinquance ?

1) La « vidéoprotection » ne surveille par définition que l’espace public et, en pratique, elle est installée essentiellement dans les centres-villes. Elle n’a donc aucun impact sur les violences physiques et sexuelles les plus graves et les plus répétées qui surviennent majoritairement dans la sphère privée, surtout intrafamiliale. Elle n’en a pas davantage sur les atteintes aux personnes moins sérieuses survenant sur la voie publique et qui relèvent le plus souvent d’actes impulsifs (bagarres « viriles », rixes entre automobilistes, querelles de sortie de bars, etc.). Elle n’a ensuite qu’un impact dissuasif marginal sur des infractions très fréquentes comme les vols de voiture des particuliers à proximité des domiciles ; les cambriolages de résidences principales ou secondaires et même, plus largement, toute la petite délinquance de voie publique des centres-villes où elle est massivement installée (vols à la tire, vols à l’arraché).

En réalité, la vidéo permet surtout de repérer et éventuellement d’identifier a posteriori les auteurs de rixes et d’attroupements sur la voie publique, de dégradations de biens publics ou privés sur la voie publique, enfin et plus rarement de vols avec violence sur des particuliers, de vols à l’étalage, de braquages de commerces ou encore de petits trafics de stupéfiants. Tout cela à condition que les caméras soient positionnées sur les lieux de ces délits au bon moment, ce qui est loin d’être toujours le cas car la plupart des caméras effectuent des « parcours » prédéfinis laissant des zones sans surveillance pendant plusieurs minutes.

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Lire la suite de La « vidéoprotection », une gabegie. Une tribune de Eric Heilmann, Tanguy Le Goff et Laurent Mucchielli dans ’’Le Monde’’


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